L’étonnant mystère du Clodo Argenté

Imagine-toi posé à la table d’un bar-tabac, tenu par une Chinoise aussi rigide que le bambou et qu’une faux de rizière. Cette terrible mandarine est plus intransigeante que le sanhédrin ; et elle essaye, tant bien que mal, de déloger de sa parcelle un clodo de compét'

Quel est son tort ? Être assis depuis deux heures sur une chaise dans un estaminet tenu par l’Empire du Milieu et par son impitoyable parti unique. 

Première injonction : « Pa-tez Monsieur, c’est pas place gratuite ici ». Réplique le romanichel d’airain : « Laissez-moi, la République se renouvelle tous les six mois et il faut demander la destitution du Sénat ». 

Deuxième injonction : « Ça-suffit-main-te-nant, je perds de l’a-gent moi ». 

Je n'ai pas entendu la réplique.

J’avais à faire sur mon smartphone.

J'ai juste pensé que le PCC tirait ses ressources de l'État... et que la sommation n'était pas suffisamment interpellative pour ne pas avoir été suivie d'une menace de recourir au concours de la force publique. 

Puis la Chinoise finit par abdiquer, comme la dynastie Ming.

Ensuite le brave, reconnaissant ma profession, vient me dire : "Bonjour, comment ça va ?". Je ne parle jamais aux clochards, question de principe. Mais je lui réponds spontanément : "Bonjour Monsieur, ça va bien, et vous ?" en me contorsionnant le cou à 45 degrés. Et là s'ensuit de sa part un formidable soliloque biographique : "Je suis des forces spéciales, j'ai fait renverser des gouvernements. L'État est corrompu, il faut prononcer la destitution par voie de jurisprudence, sinon c'est la dictature pour mille ans". 

On ne peut qu'approuver cette diatribe contre l'oeuvre d'Emmanuel Macron et toute sa bande de zouaves. 

Aussi poursuit-il son manifeste politique : "Tous les ans, il faudrait changer de gouvernement. C'est la destitution du peuple par le peuple". Voilà une défense de l'autonomie des peuples qu'aucun franc-mac' tout pédant ne saurait concevoir. 

Pour vous situer la chose, cette suite de propos sort d'une bouche aux dents caricaturales. 

Des yeux gris et caverneux vous fixent, aussi gris que ses cheveux mi-longs et épais. Son visage était extrêmement amaigri. Il ressemblait à un crâne. 

D'habitude, j'évite de regarder les gens dans les yeux, puisque j’y perçois trop de choses. Je sais quand on me ment. Et ça arrive souvent. Et c’est extrêmement irritant. Mais le loustic avait ceci de troublant que ses globes restaient étonnamment fixes lorsqu'il déblatérait.

Soit son cerveau ravagé par l'éthanol lui intimait de dire et d'inventer, si bien qu'il se convainquait de ce qu'il disait...

Soit cet homme, paisible, bien que parlant un peu haut, vient à vous pour mettre à l'épreuve votre charité. 

Il était peut-être le nouvel Saint Alexis, qui avait tout pour lui, mais qui a préféré vivre en mendiant, par ascétisme.

Ainsi m'avait-t-il incité, sans le demander, à deux bonnes oeuvres : l'emmener à la boulangerie d'à-côté, parce que j'avais un petit creux, et aussi pour le rincer de quelques entremets ; et surtout pour l'éloigner du feu du communisme qui l'aurait emmené à la géhenne. 

Arrivés, à la boulangerie, le mec ne voulut rien choisir. "Prenez-moi ce que vous voulez" dit-il. Très bien mon brave, ce serait pour toi une pistole aux olives et une tartelette aux amandes. 

En attendant d'être servis, il continuait de déblatérer tout haut, ce qui décontenançait la pauvre jeunette au comptoir. 

Mais, moi, il me régalait. L'aura antisociale de ce clodo gris brillait de tout son soûl. Il se foutait d'effrayer les "gens normaux", qui sont juste, de façon générale, des gens chiants et mal polis. Ainsi de cette grosse quinquagénaire, au goitre intolérable, qui n'osait pas sortir de sa voiture. Elle avait son énorme patte hors du véhicule, et sa main restait collée à la poignée de la portière en attendant qu'il passe, tout en fixant cette personne en état de dénuement de ses gros yeux de merlan.

Puis je finis par retourner à mon sanctuaire, et on se quitta en se serrant la pince, car voilà l'homme qui pousse l'humilité à son extrême, l'indigence à son sommet et l'originalité à son éclat. Voilà l'homme qui dérange ; où qu'il vienne, il fout la merde et reste incompris. 

On a bien des points en communs ! 









Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Juan Branco, praticien du chaos

De l'impossibilité de s'approprier la pensée de Nietzsche : le cas Julien Rochedy

Exorciser le CRFPA, examen du démon - Le guide ultime des révisions

Elon Musk, contempteur du progrès, imposteur et énorme fumier

Derrière chaque moraliste, un grand coupable

Quel délit de presse êtes-vous ?

Le protagoniste d’Orange mécanique, cette vermine qui vous fascine

Mad Men, le grand théâtre de la vie

Le Journal de minuit ; ou l'introspection au plus sombre de la nuit

L'école des avocats : le premier cercle de l'Enfer de Dante