Sens du mariage abrahamique et réalité contemporaine

Le mariage... Institution millénaire, sacrement et contrat civil. C'est l'acte d'abandon le plus conformiste qui soit. Se marier, c'est avant tout renoncer à sa liberté sexuelle et promettre de consacrer du temps à autrui. En somme, tout le contraire de ce que nous incite l'époque.

Une tradition surannée donc ? 

Le sens du mariage abrahamique

Un bref retour à la théologie des monothéismes nous enseigne que l'union de l'homme et de la femme sert la perpétuation de l'espèce, sans considération pour l'éco-système d'accueil. N'en déplaise aux écologistes chafouins :

    "Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre" (Genèse 1:28)

Ce faisant, le mariage ne serait que le cadre normatif de notre animalité ?

Rappelons qu'Ève est née de la côte d'Adam (Genèse 1:28) parce que l'Éternel crut bon de ne pas laisser l'homme seul (Genèse 1:18). Et quelle riche idée ! Tout homme s'est déjà trouvé en face d'un sourire, d'un regard, d'une voix... puis croire à un miracle. De quoi parfois douter de l'inexistence de Dieu, même pour un athée carabiné. Ainsi, le mariage est le prodige du retour à la chair :

    "Et l'homme dit: Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair! on l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme".
(Genèse 2:23)

    "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair".
(Genèse 2:24)

Les plus critiques y verront un simulacre rituel, puisque la cérémonie du mariage serait la voie vers le jardin d'Eden : prendre l'autre pour époux, ne former qu'un, et revenir à la béatitude du Sixième jour. 

Et n'est-ce pas la véritable destination du couple ? Se constituer un doux cocon ? Échapper à la dureté d'une vie solitaire ? Nous régressons tous un peu sous l'emprise de l'ocytocine, et certains semblent même retourner à l'enfance. Cette transe amoureuse nous ferait oublier toute désir de connaissance, toute conscience du bien et du mal, comme si le fruit défendu n'eut jamais été goûté. Une seule chose compte : nous deux. 

Donc, nous aimons à croire que le mariage est bien davantage qu'une union sexuelle. Ce serait une union des âmes. Ce serait l'art de la douceur, de la bienveillance et de l'entraide désintéressée. Saint Paul résume parfaitement ce qui fait la quiddité du mariage :

    "L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ;

    Il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ;

    Il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ;

    Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout". (Première épitre de Saint Paul aux Corinthiens 13:04 à 13:07).

   Thomas d'Aquin lui-même dira que l'amitié conjugale est bien plus importante que la procréation, car la rationalité nous distingue des bêtes (Somme Théologique, Supplementum, q. 41, a. 1, ad 1). Du moins, l'exégète rappelle que la finalité principale reste la reproduction, sans quoi l'espèce s'éteindrait. Mais, nous le savons, à notre époque il n'est ni nécessaire d'être marié pour enfanter, ni même de s'accoupler sur des pétales de roses à la lueur des chandelles.

    En définitive, la nature humaine doit être domptée par le mariage. Le bon ordre répugne la concupiscence. En cela, l'Islam défend au croyant de rester seul (Coran XXIV 32-3). L'Islam, de façon plus éclatante encore, nous révèle que le mariage place l'homme et la femme sous l'autorité de Dieu. Désavouer le mariage serait refuser un don privilégié de Dieu, aboutissant à dénier sa soumission, racine de cette religion (Coran XVI, 72 ;  XLII, 11). De la même façon, saint Paul lia l'amour du Christ à l'attachement que doit entretenir un conjoint envers l'autre (Épitre 5:22-25). Se marier avec celui ou celle que Dieu désignera pour vous, c'est se marier à l'Église, et parfaire sa foi. 

    En ce sens, Abraham, le premier des prophètes, incarna cette dévotion absolue. Quand, âgé de 19 ans, Abraham eut assisté à l'apparition de l'Éternel, il ne lui était point promis de grandes richesses, ni de régner en souverain, mais d'engendrer une descendance infinie (Genèse 17:6-9). La postérité est la plus grande des gloires. Et lorsque Abraham fut éprouvé et commandé de sacrifier son fils unique, Isaac, il accepta sans sourciller, avant que l’Éternel ne l’en empêche finalement (Genèse 2:1-19). 

    Le récit de la ligature d'Isaac révèle l'ultime abandon dont l'humain est capable. Malgré tout, on pourrait rétorquer qu'Abraham n'avait nul besoin de foi, puisqu'il a eu la certitude de l'existence de Dieu, apparu à son regard. Mais il s'agit bien de foi, parce qu'Abraham ne savait dans quelle mesure il serait encore éprouvé, et si la volonté divine s'accomplirait, à défaut de connaitre l'avenir. 

    Or, semble-t-il, le mariage est précisément cela. C'est rêver d'immortalité, désirer que nos gènes subsistent ad vitam en ce monde. Et que l'on soit croyant ou non, le mariage est un acte aveugle. C'est le vœu d'une cohabitation  sereine et enrichissante pour les cinquante prochaines années. Un sacré risque. Et connaissant l'époque qui est la nôtre, peut-on encore prendre ce risque ?

La réalité contemporaine

    Pour résumer, le mariage abrahamique consiste à contenir les égos, et à se soumettre à une cause qui nous est supérieure. On appellerait ceci Dieu, ou le Désir d'éternité, ou encore l'Envie de fonder un foyer. Qu'importe. Il s'agit de voir plus loin que sa petite personne et, consciemment ou non, laisser sa marque dans l'univers. 

       Mais aujourd'hui, au-delà du désir d'enfant, une double difficulté se manifeste souvent : la difficulté de la tâche d'éduquer, engendrant parfois un renoncement à tenir son rôle de parent ; et la difficulté de la lassitude de l'un envers l'autre, car tout un chacun est exposé aux tentations. Aussi, comment ne pas délaisser son gosse quand nous sommes exhortés à courir après l'argent, ou à briller dans sa profession et à travailler toujours plus ? Comment éviter de se réveiller un bon matin et d'entendre un "j'ai plus envie, je veux partir" qui claque comme l'éclair lors d'une nuit sans étoiles ? 

    Les moyens de communication modernes ont quelque chose de formidable, certes. On peut converser instantanément avec un sud-coréen pour parler k-pop ou beaujolais nouveau, ou bien flirter avec une brunette de Vladivostok. Mais ces réseaux arborent une facette abominable quand ils sont utilisés pour flatter des égos friables, au gré de likes, de pouces bleus et de coeurs rouges qui ne signifient plus rien. L’époque produit une légion d’autophiles pour qui le mariage est une mascarade ancestrale.  

    Comment expliquer qu'une conversation instantanée de sa moitié avec un sombre inconnu puisse ébranler une relation de 10, 20 ou 30 ans ? Peut-être la recherche du frisson, encore et toujours du frisson. Comment expliquer l'idée de conjugalité pérenne à une génération qui a seulement le goût des nouvelles choses ?

Nous sommes tous exposés à l'affliction du rejet et à la honte de s'être abandonné corps et âme à la passion amoureuse. Mais l'important serait de vivre, et d'avoir vécu. Mieux vaut à 90 ans avoir eu leur coeur brisé 100 fois, ou regretter d'avoir toujours reculé par effroi ?

    Le remède serait alors la patience. Plutôt que de céder trop tôt aux appels de l'horloge biologique ou de la pression sociale, il conviendrait de mettre le courtisan, ou le courtisé, à l'épreuve de l'attente. On sera ainsi enclin à observer si l'on nous gratifiera d'une scène ubuesque pour une "story instagram" à laquelle l'on n'aurait pas réagi ; ou si subitement, du jour au lendemain, on ne fera que relever nos défauts.  Tel est aussi le problème de L'Homo Deus trop instruit, trop créatif, lequel s'expose à l'éternelle insatisfaction, alors que le mariage incite à l'humilité, et à sortir de sa petite matrice.

    Et que dire des cérémonies fastes et tapageuses ? Ces célébrations donnent lieu à des dépenses considérables, et bien souvent à des querelles entre les familles ; par exemple pour désigner le préposé au choix des ronds de serviette ou aux motifs de nappes. Telle une alliance familiale qui débute sur des bases saines...

    On ne parlera pas davantage de la fiction de la "robe blanche" qui - sans jugement de valeur - se veut exposer une mariée "vierge et pure", au temps où l'acte sexuel est un loisir. On ne parlera pas plus de cette figure de l'époux "patriarche" qu'érige le mariage, alors qu'il n'est plus question aujourd'hui de diriger un clan, ou de guider quiconque dans les sillons du divin.

    Toutefois, il y des alliances pour tous les goûts. Avant Thomas d'Aquin, Aristote distinguait les amitiés (au sens large) selon qu'elles sont fondées sur le plaisir, s'analysant dans les actuelles "relations sans lendemain", et qui ne mènent nulle part, car dépouillées de mystère, d'attente et d'admiration ; celles fondées sur l'intérêt commun, dont les "mariages de raison", ou les simples communautés de patrimoines, les blêmes alliances bourgeoises et les unions des gens émotionnellement épuisés par les désillusions ; et enfin les amitiés reposant sur la vertu, soit "l'amitié parfaite" dans laquelle chacun envisage joyeusement d'élever l'autre (Éthique à Nicomaque, livre VIII, chapitre II).

    Et depuis le Concile de Trente de 1534 qui a qualifié d'accessoire la finalité sexuelle, le mariage reposant sur la vertu est celui qui prédomine dans la Doctrine. Une belle victoire pour la philosophie antique.

    Admirons toutefois celles et ceux qui se plient à un idéal. Leur spiritualité force le respect, et avec l'âge on trouve insupportables les pseudo-pourfendeurs des religions et leur dédain primaire. L'intelligence porterait plutôt à étudier la théologie, tant pour sonder le coeur des hommes, que pour tenter de cerner la considérable portée philosophique des religions.

    Et quoi qu’il en soit, Messieurs, n'oubliez pas ceci : "mieux vaut habiter une terre déserte, qu'avec une femme querelleuse et irritable (Proverbes 23:19).


Commentaires

  1. Joli, et surtout bien vu pour le parallèle avec la recherche de reconnaissance et de plaisirs brefs propre aux nouveaux usages des réseaux sociaux (entre autres).
    C'est drôle, ça m'a fait penser à "Quelquefois" de Claude François !

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    1. Cher Fred, merci de continuer à me suivre, et pour ses mots ! Vous m’indiquez que j’ai produit un texte assez dense pour que chacun puisse y voir un peu de soi, et j’en suis ravi. Je suis allé voir la chanson de Cloclo, et elle-même me fait penser à Love is a hurtin’ thing des Temptations. Bienheureux sont ceux qui n’ont jamais songé au renoncement.

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