Daniel Day-Lewis ; ou comment se donner à son art
Sachez-le, dans ce monde de hyènes et de rats rayés, il est un homme excellent, et si terriblement doué que ses congénères baissent la tête quand il entre dans la pièce.
Sur le cercle très fermé des acteurs, il plane, il vient, il entre, et ressort - toujours en riant parce qu’il aura baissé le froc de tout le monde.
Cet homme fait de chair et d’éther, c’est Daniel Day-Lewis.
Certes, ce britannique a la tête de Monsieur Tout-le-monde, mais c’est précisément ce qui lui permet de jouer n’importe qui : du démon Irlandais, qui découpe des humains pour le loisir ; au péteux inoffensif, dont l’accent cockney trahit 7 générations de cul-serrés pour qui « agios » est un country club de Brighton.
L’acteur incarne tant son personnage qu’à sa mort, il sera canonisé saint patron de sa profession. Pour lui, chaque projet est un pacte faustien. Il perd un morceau d’âme après chaque tournage. Il est son personnage. Il y croit. Donc nous aussi on y croit. C’est une force de volonté qui se situe entre le nucléaire et l’antimatière. Et de son personnage, il veut tout savoir : son petit-déjeuner, la température de ses douches, la cuisson de son steak... Croyez-le ou non, il n’accepte pas de rôle dont le personnage n’a pas de « backstory » de moins de 2 000 pages. Car Day-Lewis a l’imagination qu’il faut pour concevoir chaque corps, chaque membre, chaque cellule de celui dont il va créer la vie.
S’il est si bon, c’est aussi parce qu’il a la maitrise du moindre muscle de son visage. Il est en permanence un masque vivant. Il est le premier et le dernier des métamorphes. Son corps ne le trahit pas. C’est lui qui trahit son corps. Ainsi de la fois lorsqu’il est vraiment tombé sur le dos dans la scène d’ouverture de There Will Be Blood. Il se blesse deux vertèbres. Qu’importe. Il remportera l’Oscar. Il en remportera 3 d’ailleurs. Un record qui n’est pas près d’être égalé. À côté de Daniel Day-Lewis, Marlon Brando a l’air d’un pantin.
Mais parfois, Day-Lewis fatigue. On ne peut pas tout donner, tout le temps, impunément. Donc il s’arrête de jouer. Longtemps. Très longtemps. Par exemple, il a tellement vécu son rôle de simili-sauvage dans le Dernier des Mohicans qu’il a eu du mal à s’en extirper. Résultat : un exode de 6 ans dans une ferme du nord de l’Angleterre. Oui, il a ceci d’admirable qu’il est allergique à la notoriété. Ce maitre est juste là, l’air de dire : « Hey, je fais juste mon job ». Quel homme. Di Caprio peut aller se rhabiller avec ses yachts et ses harems de mannequins tout juste sortis de la puberté.
Observateur, fin psychologue, prodige de son temps, Daniel Day-Lewis s’est payé le luxe de partir à la retraite avant l’âge légal. Désormais, auprès des siens il demeure.
Pour devenir une légende, ce preux gaillard a travaillé autant que son corps et son esprit le lui autorisaient. Il est maintenant cordonnier. Et cette orientation professionnelle est avant tout un acte de mansuétude, car chaque fois que son visage apparait sur un écran, il est le rappel permanent de ce qu’est l’essence même du cinéma : de grandes histoires, du quotidien ou non ; de l’émotion juste, adroite, sans tension, sans exagération ; de la beauté dans l’image, dans le son, des voix qui varient, qui parlent de l’humain, de ses origines, de joies, de peines ; des mystères de la vie, surmontables ou non ; et surtout de l’authenticité et du respect pour le spectateur. Ni plus ni moins.
Ainsi, suivant ses aspirations, ses passions et le vent de ses envies, il fabrique des souliers pour les offrir à tous les acteurs qu’il a mis au chômage.
Bref, un destin formidable.
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