La (presque) indicible sagesse de Everything, Everywhere, All at Once
Qui, contemplant les flétrissures de son visage, n’a pas regretté sa vie ? Ce visage est le siège de vos mille possibilités. Mais chaque pore apparait désormais comme un désert aride. Et au gré des mouvements du temps, vous vous retrouvez, vous ne savez comment, sur une dune ardente. Ainsi vous voici encerclé par des figures à bâtons dentelés et aux identités dissimulées par le mistral d'airain. Puis à la retombée de la tempête ensablée, vos assaillants se révèlent : un rejeton en crise, un époux indolent, les impôts au séant, un commerce prenant... Et malheur ! Ce désert est toute votre vie. Et tout va trop vite, tout est énervant, nulle pensée audible, sauf cet écho incessant qui survient dans l'intervalle lucide d'un destin tristement dément : « Quelle existence pitoyable je mène... mes choix ont-ils été si désastreux ? ». Dès lors, vous avez envie d’altérer vos perceptions, être air et liquide, paradis et enfer, devenir un son, voir les sons, vous lier à l'infini et... pourquoi pas... tirer une de ces cordes fantômes accrochées aux vies universelles. Puis soudain, dans l’enclave ascendante de votre désespoir, l'être hier aimé, désormais honni, vous apparait en héros homérique et vous invite à vous battre pour sauver l'univers. Vous êtes l'Élu. Alors dans l'envolée rougeâtre des ambitions que vos peurs ont ternies, vous marchez sur le marais verdâtre des espoirs déçus et trouvez Dieu dans une tomate. Dès lors, au pays de l'imaginaire, vous vous sentez enfin vous-même... Alors, faisant fi de vos infinies responsabilités d'adulte, vous vous surprenez à maitriser le chant et le combat rapproché ; vous connaissez la célébrité, la gloire, le pouvoir... La joie succède désormais à cette irritation, croyait-on, permanente ; et la nuée bleutée de vos vies rêvées éclipse vos névroses. Et c'est vous qui, à présent, maniez le bâton dentelé. Ce "moi" n'est plus si haïssable. Alors dans l'exaltation de la sensation d'être vous-même, vous affrontez avec violence les assassins de l’éclat de votre épanouissement. Mais soudainement, ce fol mélange de couleurs qui représente vos réalités idéalisées s'estompe à la faveur de la blanche vérité, si éclatante qu'elle en est aveuglante. Cette vérité est la suivante : il n'y a pas de « vie réussie ». Ni même de « vie ratée ». Il y a seulement la vie que l'on a. Personne "ne tire le mauvais numéro", et il convient de « faire avec », et d'en tirer le meilleur profit. Car certes, vous ne perdez rien à être seul, mais vous gagnez tout à être bien entouré. Ainsi sortez-vous de la brumeuse marée de votre crise existentielle ; et à l'orée d'une sérénité orangée, vous acceptez l'inéluctable et à ne changer que ce qui peut être changé. Notamment vous-même.
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