Un regard froid dans la fournaise
Que fait qu’un humain est effrayé par un autre ? Sa taille, son poids, son pouvoir ?
Prenons Madame Z.
Cette jeune trentenaire, une brunette légèrement rondelette, comparait devant une cour d’assises pour « homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans ». Autrement dit, elle est accusée d’avoir tué son bébé.
Imaginez-la le jour de son procès, arrivant stoïque sur le banc des accusés, gardant quelques instants la tête baissée, et gigotant un peu pour s’assurer qu’elle est bien assise. Puis elle lève le nez et une seule rotation du muscle sterno-cléido-mastoïdien laisse apparaitre un visage pâle mais remarquablement bien fait, un mélange de Diam’s et de Naomi Watts. Ce visage offre aussi à percevoir des yeux clairs, très clairs, si clairs qu’on ne saurait dire s’ils sont bleus ou verts. Mais tout instinct maternel semble avoir déserté ces deux beaux globes d’émeraude qui sont désormais des orbes de glace. Et ce regard, tracé d’une ligne parfaitement droite, est renfrogné, inquisiteur et semble être la promesse de choses horribles pour qui le croise.
Cependant, les traits de Madame Z. viennent à s'adoucir quand la Cour évoque ses quatre autres enfants, si bien que le givre de ce regard fond parfois en un ruissellement de larmes.
« Mais vous avez vraiment cru que j’avais tué mon enfant ou quoi ? » répond-elle sans peur à Mme l’Avocat général qui, avec tout le feu de son éloquence, lui reprochait « d’avoir beaucoup menti durant cette affaire ». D'ailleurs, cette magistrate à la prestance presque divine en impressionnerait plus d’un, mais pas Mme Z. « Nous ne cherchons qu’à comprendre et qu’à connaître la vérité ». Et de quelle vérité parle-t-on ? Dans le cas présent : de la vie chaotique de l’accusée, d’une mère ivrogne, si bête qu'elle est capable de donner du Lexomil à un nourrisson ; d’un père absent, ou bien violent ; d’une fratrie dont trop tôt elle dût s’occuper ; et d'un besoin d’amour toujours inassouvi.
Son regard est donc sa défense, son rempart, son perpétuel avertissement adressé aux méchants. « Touche-moi et tu meurs ». Et Mme Z. est plutôt jolie et attire. Ainsi a-t-elle trouvé des instants de réconfort plutôt fugaces avec quelques garçons ; ou, pour ainsi dire, quelques singes sans délicatesse, ni subtilité, seulement intéressés par son appareil génital. Puis des experts-psychiatres le confirmeront : Mme Z. utilisait son corps pour créer du lien et des amitiés ambiguës avec des hommes. D'autres experts pointeront aussi ses "traits psychopathiques", sans pourtant pouvoir déterminer si Mme Z. est, ou non, complètement psychopathe. Des assistants sociaux diront également avoir été "manipulés", ou "surpris par une personnalité lisse qui répond exactement à ce qu'on lui demande, sans plus". Mais n'est-ce pas le cas de 99% de la population ? Ne sommes-nous pas tous des manipulateurs en puissance, souhaitant obtenir de l'autre une issue favorable, ou une chose agréable ? Ne sommes-nous pas des monstres conventionnés de politesse ? Aucun n'aurait appelé Mme Z. "manipulatrice" s'il ne savait qu'elle était accusée d'infanticide. Mais, à l'évidence, avoir la force publique aux trousses rend tout de suite plus impressionnant.
Alors la Justice faisant son travail, s'est attelée à creuser le dossier et à détailler la vie de l'accusée, même dans ses aspects les plus intimes : sa première fois, son nombre d'amants, sa première fellation, la fois où elle s'est prostituée pour racheter le téléphone que son compagnon lui avait brisé... Et ce n'est pas la seule chose que ce dernier a brisé.
Comparaissant en tant que témoin, le géniteur à l'origine des cinq grossesses de l'accusée fait pâle figure devant les questions de la Cour. Chétif et pas bien malin, il était résolu à ne pas vouloir d'enfant de sexe féminin. Raison pour laquelle il a décidé d'assumer la paternité du seul premier né... un garçon. Il répétera plusieurs fois : "elle m'a fait des enfants dans le dos". Sa compagne lui aurait menti sur le fait qu'elle prenait la pilule. Néanmoins, au bout du troisième enfant, ce père, si réfractaire au projet parental, aurait pu avoir l'idée d'utiliser des préservatifs...
Crétin, mais bien fourbe, c'est avec toute l'énergie d'une incommensurable et audacieuse stupidité qu'il a semblé avoir soutiré de l'accusée des aveux du meurtre du bébé sur vidéo Snapchat. "Fais-le ou je te nique ta mère". C'est à peu près la menace que l'accusée a relaté à l'audience. Son visage tuméfié et ses cheveux en bataille illustrent ce début de sonnet. Oui, car détail important : le gentilhomme a été condamné pour violences conjugales sur la personne de l'accusée. Il l'aurait même tabassée pendant une nuit entière. Et sans lui, nulle assise ne se serait tenue pour ces faits : il est à l'origine de la plainte pour meurtre, et a mis en marche l'action publique.
Mais Mme Z. ne peut rien y faire. Elle est désespérément accrochée à lui, plus fort que la moule à son rocher... Il était entré dans sa vie au moment parfait, en pleine puissance hormonale ; il l'a flatté, lui a donné beaucoup d'attention, lui a promis une vie de famille... L'accusée a obtenu la chaleur qui lui manquait, son visage et son âme s'étaient apaisés, et avoir des enfants était sa seconde chance pour exister, sa seconde vie. Donner la vie pour faire la sienne. Mais Mme Z. reste une véritable damnée de la terre.
Une naissance dans un territoire perdu de la République, tellement paumé que Dieu lui-même n'en a jamais entendu parler ; une cellule familiale détraquée, dont nul membre n'est venu assister aux débats, ni visité l'accusée en prison ; des amitiés douteuses avec des hommes élevés par des rats ; un simili-compagnon qui n'assume pas ses paternités, ni grand-chose, si ce n'est sa diabolique débilité ; un nourrisson décédé, puis un séjour en prison. Tel est le glaçant résumé d'une vie. Alors, a-t-elle été incitée par son compagnon à tuer le nourrisson ? L'a-t-il fait lui-même, et l'a-t-il fait s'accuser en profitant de sa domination affective ? Ou le bébé est-il mort subitement, et le père a fait s'accuser cette mère collante, se vengeant du fait qu'elle ait menti sur sa contraception ? Ou bien, l'accusée, ayant perdu ses sentiments pour lui lors de sa détention provisoire, a rétracté ses aveux pour le faire tomber à sa place ? Elle-même s'est dite apaisée par cette période au frais, car elle a pu rester éloignée de ce zozo. Et son enfance désastreuse a-t-elle ébranlé son rapport à l'amour ? A-t-elle pu tuer son nourrisson, au détriment du lien naturel qui se forme entre la mère et l'enfant dès la grossesse ? L'a-t-elle pu, pour conserver un lien avec son compagnon ?
Rien ne peut le confirmer ou l’infirmer.
Quoiqu'il en soit, un rapport d'expertise a conclu qu'on ne pouvait pas conclure au décès du nourrisson par étouffement ou empoisonnement.
Le doute profitant à l'accusée, cette dernière sera acquittée.
Quittant ainsi l'enfer de ses déboires judiciaires, il est maintenant à craindre qu'elle tombe dans une geôle bien plus ardente : celle de la dépendance amoureuse.
Car pour ne plus avoir froid, certains feraient n'importe quoi...
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