La musique est le reflet de l'époque

La musique est le reflet d'une époque. L'on ira même plus loin : elle est l'expression d'une humeur et d'un état d'esprit.

Exploration.

1910 

Avant la Grande guerre, l'Europe est encore animée par le romantisme, et garde un goût pour l’opéra. Elle élève de grandes cantatrices au rang de célébrités, telle que Mme Ernestine Schumann-Heink. Puis éclate la guerre. Et l’art commence à s'opposer à la dure réalité, ainsi du Peerless Quartet qui chanta I didn't raise my boy to be a soldier. Lettres mortes.

1920

Fin du carnage pour l’Alsace-Lorraine, terre sans hydrocarbures, ni belle Hélène (et donc qu’on a eu le tort de vouloir conserver). Le blues raisonnera avec le Blues Skies de Ben Selvin et bien d'autres. Les tonalités sont douces et claires. Les mélodies sont rassurantes, mais on y décèle une pointe de nostalgie. À cette époque, le bon peuple a bon goût, ainsi que de l'élégance.

1930

Période de paix relative et découverte d'un style de jazz un peu fou, avec Louis Armstrong et Cab Calloway. Ce sont les années folles. L'on est moins nostalgique, et s'ouvre davantage à l'autre. L'on découvrira Ella Fitzgerald, la mère artistique des divines Aretha Franklin et Nina Simone, quoique cette dernière procède plutôt de Billie Holiday, dont l'immensément triste Strange fruit refermera cette décennie.

1940

Décennie funeste s'il en est, elle verra néanmoins apparaitre Frank Sinatra et Nat King Cole, éternelles sommités. C’est la naissance de l'hégémonie des Etats-Unis, nation fédérale puissante qui a tiré sa grandeur de l'esclavage. Tout, lors de ces années, annonce l’érection du consumérisme et d’un embourgeoisement massif. Ce n'est pas pour rien que Rum and Coca des Andrew Sisters sera le titre le plus entrainant…

1950

Retour à une période de douceurs mélodieuses. Du moins, dans un premier temps. Tout appelle à se blottir avec sa moitié dans la chaleur du foyer, ou bien à trouver la sienne. Puis la décennie se refermera avec l'avénement d'Elvis au rang d'icône, lequel sera consumé par un trop grand succès, survenu trop tôt. Les enfants nés pendant la guerre, trop jeunes pour l'avoir connu, ont donc réclamé du rythme, de la percussion, voire un peu de scandale.

1960

C'est le début d'une période absolument somptueuse dans laquelle la liberté artistique battit son plein. Avec du recul, l’on chérira surtout l'esprit colon de l'Anglais qui invente ici le British blues boom pour (re)conquérir les États-Unis en y envoyant les Stones, les Beatles et les Animals. Puis la soul apparait avec Sam Cooke, lui aussi mort trop tôt, faisant entrer le jazz dans quelque chose de moins monotone, et de plus narratif. Puis en fin d'époque, le rock sera plus sauvage avec Led Zeppelin.

1970 

Si les années 1960 avait le visage d'Audrey Hepburn, les années 1970 aura le visage de Dieu. Toujours sous le règne de la paix et de la liberté, chaque genre est perfectionné. Le rock avec Queen et Led Zep ; le jazz avec Kool and the Gang et Earth Wind and Fire ; la soul avec Marvin Gaye, héritier de Sam Cooke, et avec un Michael Jackson libéré des Jackson 5. L'on décèle un auditorat ouvert d'esprit, nourri par 40 années de belles oeuvres, et qui a la guerre en aversion et s’empare de la musique pour militer et enfanter des évènements majeurs dans l'histoire de l'art, comme le festival de Woodstock de 1969.

1980

Le début du déclin avec l'intrusion des machines dans la création, avec synthétiseurs et autres talk boxes ; ainsi que la sexualisation de l'art, avec les gémissements un peu gênants de Diana Ross et la percée de la folle, Madonna, grande dégénérée cliniquement désapprouvée. La foule a besoin de se distraire, ayant déjà pris goût, et depuis longtemps, à la consommation. La musique est produite à une échelle industrielle pour alimenter les discothèques. Nul ne doit manquer le dernier "hit".

1990

La fête est finie. Les années 1990 sont celle d'une profonde dépression, celle de la génération X qui, après celles des boomers, prend conscience qu'elle ne vivra rien de bien exaltant ; si ce n'est un début de récession suivant les Trente Glorieuses. La génération X ne vaut pas un clou, et elle le sait. Elle verse dans le Grunge avec Nirvana, véritable emblème de la décennie, qui a toutefois produit une musique fort honorable, et bien plus marquante que celles des Phil Collins, Britney Spears ou autres boys ou girls bands survendus, qui ressemble à des bruits d'usine ou de ballades en heure de pointe place de l'Étoile.

2000

Une légère amélioration dans les mélodies, car la libre expression a légèrement reprend se droits. Ainsi l'on remerciera le rap, dont les origines ouvrières ont excusé ses virulences. En cela, l'on pense surtout à Eminem, le Elvis (pas Crespo) de notre siècle. Pour rester poli, nous avons des étrons électro, mais de qualité, comme les quelques titres des Daft Punk, de Flo Rida ou de LMFAO. Les années 2000 sont une période expérimentale, animée par une véritable fascination pour les machines. Conséquence de l'essor de l'informatique...

2010

Grande affection pour cette période, car elle est celle de ma (trop) sensible adolescence. Et pour moi, l'invention y est largement dominée par Kanye West. Reste que cette période est chaotique, car l'auditeur moyen parait avoir perdu ses repères historiques. Ainsi lui semble audible un titre passable comme Burn d'Ellie Goulding, titre bourré d'auto-tune et d'instruments qui ressemblent à des alarmes à incendie. L’indie pop, ou le synth pop hégémonique n'est jamais, pour le salarié moyen du tertiaire, qu'une musique d'ambiance qu'il écoute mollement sur le trajet du travail. Et l'auditeur semble à ce stade avoir perdu tout repère historique en musique.

2020

Et voilà l'apocalypse, l'annus horribilis. Le salariat est généralisé à l'échelle de l'humanité, et elle se contente de ce qu'on lui sert. Acculturé, orgueilleux et sans esprit critique, le moderne méprise tout ce qui n'est pas "actuel", ignorant à jamais que des choses étonnement belles ont été créées avant sa naissance. Le productivisme des années 1980 est remis au goût du jour avec une puissance décuplée par les réseaux sociaux, et sont promues des sonorités d'une laideur absolue ; ou de la bouillie entre le reggaeton latino et le zouglou, le tout composé sur Audacity par un consommateur habituel de produits stupéfiants. Autant dire que cet attrait massif pour ces immondices dissimule une profonde et vaste dépression.

2030

Voulant sauver son espèce, l'humanité décide de réduire sa consommation de réseaux sociaux et de limiter les accès à internet au strict nécessaire. Des concerts acoustiques et philharmoniques se tiennent souvent dans les rues, été comme hiver, créant des points de rencontres qui étaient jusque-là inédits. Le goût revient pour des sonorités simples, naturelles et sans artifices. L'on reprend les plus grands standards du XXème Siècle, et grâce à Bruno Mars, Nile Rodgers et à la famille Gordy des oeuvres folles et sincères paraitront ; et le monde est sauvé.

 

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