La déontologie sauve vos âmes

Chaque matin, je remercie le Ciel de m’avoir donné une cervelle bien câblée qui m’empêche, par exemple, de voir le monde avec d’un côté les fascistes et les gauchistes de l’autre. Je suis bienheureux de n'avoir aucun attrait pour les chips, la pornographie, les boissons sucrées et les séries télévisées. Je remercie chaque soir les astres de m’avoir montré mon cap au travers la brume de notre ère ; et ce cap, cette étoile polaire, ce point mis en surbrillance par un halo épais : c'est la déontologie. Ainsi la sensibilité que m'offrit les cieux pour la science de l’éthique me donna à affecter les strictes normes de conduite de ma profession.

Par exemple, l’obligation d’écrire au confrère quand un de ses clients, voulant changer d’avocat, vient vous voir :


« L’avocat qui reçoit l’offre d’un dossier doit vérifier si un ou plusieurs confrères ont été préalablement chargés de ce dossier comme défenseur ou conseil du client.  

L’avocat qui accepte de succéder à un confrère doit, avant toute diligence, le prévenir par écrit et s’enquérir des sommes pouvant lui rester dues

L’avocat dessaisi, ne disposant d’aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l’entière connaissance du dossier. » Article 9 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat.

Ainsi, cet article m'intéresse tout particulièrement parce qu'il invite à la retenue et nous fait oublier, dans la mesure du possible, que l'on est un peu plus que des commerçants enclins à se jeter comme de vilains volatiles sur une seule et même mie de pain. Puis l’on remarquera que les rats volants semblent soumis à une stricte déontologie. Car lorsqu'on leur jette un morceau de pain blanc à l'indice glycémique beaucoup trop élevé, et dont on n’a pas voulu avec notre salade césar, les pigeons peuvent être deux ou trois à se précipiter vers cet appétissant morceau de baguette francilienne. Deux ou trois. Pas plus. Les autres regardent et attendent leur tour. Quant à ces deux ou trois chanceux, eux savent qu'ils ont chacun une chance de picorer. Mais arrive-t-il qu'ils se battent ? Arrive-t-il que l'un d'eux veuille tout s'accaparer ? Non. Car les pigeons ont une éthique (et qu'ils sont dépourvus de pouces opposables, et qu'ils consommeraient trop d'énergie à croiser le bec avec leurs prochains).

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

À tout avocat qui vous semble malhonnête vous pouvez rappeler ces quelques lignes. Car, sans vouloir trahir mon serment de confraternité, je dois vous mettre en garde contre des confrères d'un certain barreau (gargantuesque), d'une certaine ville (colossale) où - petit indice - l’on voue une véritable passion pour la circulation en trottinette et pour l'art dégénéré. Je dois vous alerter que, pour eux, la déontologie est moins respectée qu'une demi-feuille de Lotus Moltonel Triple épaisseur. Le RIN précité est à leur yeux tellement lettre morte qu'ils semblent penser qu'il a été écrit en latin. Ceci s’explique par l'idée savamment entretenue par le lobby commerçant que la déontologie est un véritable obstacle à la liberté d'entreprendre ; autrement dit, à la liberté de s'enrichir d’une manière insolente, car la liberté du commerce n'est jamais que la domination du plus fort sur le plus faible. Ces praticiens sont reconnaissables par leur allure guindée et leur air infatué, enorgueillis de ce qu'une chaine d'infos leur a parfois tendu le micro. Leur compétence est toutefois inversement proportionnée à leur notoriété. Ils sont aussi fourbes qu'ils ont l'esprit lent et tout est matière à exiger des honoraires : 

- "Tiens, un désaccord sur la garde des enfants... et si j'harcèlerais judiciairement ce père altier en lui réclamant les arriérés de pension qu'il a oublié de réviser selon l'indice de l'INSEE ?"

- "Oh ! Un jeune go-fast de 21 ans, avec un casier monumental, qui s'est fait prendre avec 20 kilos. Et si je tentais sa mise en liberté alors qu'il n'a aucune chance de sortir ?"

- "Et si je continuais à me spécialiser dans les stupéfiants pour être payé rubis sur l'ongle et en espèces, s’il vous plaît ?" 

Au surplus, ce dernier spécimen a tendance à se réjouir publiquement d’avoir le séant malpropre, pour ainsi nous signifier que son âme est entachée. À ce stade, on n'est plus sur de la pratique du droit, mais sur de la compromission mercantile. Et lui, tout comme le fonctionnaire nuisible et mal aimable (décrit ici), il aurait bien des comptes à rendre devant Saint Pierre, sans pouvoir dire : "excusez-moi, je ne savais pas". Or si, tu savais, surtout au moment de régler tes prostituées en liquide (sans mauvais jeu de mots) quand tu filais décompresser d'une vie nuisible à Djerba.

Alors certes, l’on est tenté. Tout le temps. À tel point que si vous tombez sur un dossier criminel à 10 000 HT d’honoraires minimum, gare à vous. Votre client recevra de sa geôle moult courriers diffamatoires d’avocats envieux qui prieront tous les saints que vous soyez éconduit. Et s’il vous arrivait de tomber dans les couloirs du palais sur une belle blonde, type quadragénaire un peu marquée par la vie, et que vous soyez un tant soit peu sensible au malheur d’autrui, et que ses yeux de couleur jade sont à peine soutenables tant ils appellent le don du coeur ; et cette femme, contrainte de se défendre seule, n’ayant pas les moyens d’être assistée à l’audience pénale contre son époux violent, et dont la chaude blondeur vous parait être un rêve dans le froid judiciaire, que feriez-vous ? Que feriez-vous si elle vous demandait de l’aider et qu’elle vous susurrait « j’ai peur », une fois, deux fois, puis trois, tout en plongeant l’éclat de ces deux émeraudes dans vos yeux fatigués, injectés de sang et désolés. Elle implore votre aide, vous effleure la main, vous agrippe deux doigts et vous supplie pour quelques encouragements, et à peine vous-a-telle caressé qu’elle a fait réagir vos membres inférieurs. Vous prenez alors une inspiration, et vous vous concentrez sur le kilo et deux cent grammes d’orfèvrerie qui leste vos épaules et vous donne le droit au titre de « Maître ». Puis, en mâle surexcité certes, mais désabusé que vous êtes, vous gardez une pleine conscience de la perfidie féminine et restez cool, comme un personnage d’un bon Tarantino (ma préférence allant à Vincent Vega). Il s’agira alors de lui expliquer le déroulement de l’audience, en s’abstenant de lui donner un avis sur le fond de son affaire. On ne succède pas comme un fumier. Quoi que l’envie brulait dans votre esprit de lui laisser votre carte afin de « garder le contact », vous imaginant déjà lui redonner un peu d’estime d’elle-même en lui offrant un de ces soirs un quintuple orgasme. Diable de vous. Il a bien fallu que la déontologie annule votre phallus…








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