La colère de Dimitri

Il se fait cogner depuis ses 12 ans. Sa mère est une ivrogne, et son beau-père le met au placard. C’est Harry Potter et Dobby, mais sans Hagrid et sans les chouettes. Sa mère, semi-débile, a octroyé la pater potestas à un bulot, qui n’a ni patience, ni attrait pour la parentalité. Alors elle se fait « aider » par les services sociaux, dont quelques mégères départementales qui se font une haute opinion de la parentalité. Alors Dimitri est vite placé en foyer d’accueil, et il y met un bocson considérable. Des bagarres, tous les jours, des éducateurs dépassés, et tout son entourage terrorisé. La colère de Dimitri est sans limite. Il commet des larcins, fume quelques bédos, se met peu à peu en marge, et se fait interpeller par les forces de l’ordre. Pour son mal-être, les procureurs qui l’ont croisé préconisent bien souvent de la détention, bien que cet hère soit tout à fait mineur. Heureusement, les juges ne suivront pas les accusateurs, qui portent trop bien leurs noms ; d’ailleurs, chaque fois qu’ils disent du bien d’une personne, c’est pour contrer avec atavisme les arguments de la défense. Dimitri est donc placé sous contrôle judiciaire avec obligation de pointer chaque semaine à la gendarmerie, ou de ne pas sortir d’une zone déterminée… Mais sans trop de succès.

Il est majeur désormais, et doit être jugé comme un majeur. Devant ses accusateurs, sa nonchalance recouvre quelques pointes de rage. De la justice, Dimitri « n’en a rien à foutre », et ne se prive pas de le lui dire. Et il a raison. La justice n’est là que pour le surveiller et pour le punir. Juges et procureurs sont les faces d’une même lame. En fait, Dimitri aurait dû rencontrer un avocat qui lui aurait dit : « La vie t’a brisé et t’es presque irrécupérable. Mais ce n’est presque pas trop tard. Ta rage est ton moteur, alors tu as deux façons de l’exploiter. Soit tu deviens une brute ou un assassin, et tu seras traqué à vie par tous les gouvernements du monde. Soit tu entres à la légion ou dans n’importe groupe paramilitaire avec quelques accointances avec un État régulier. Alors tu deviens une machine à tuer, un misanthrope, mais un misanthrope utile. Soit, comme beaucoup, un sociopathe discret et agrée par le système. Donc coco, reste parmi nous. Tu peux avoir une vie plus exaltante que la nôtre ».

Aussi n’est-il pas certain que ces paroles apaisent Dimitri, mais elles demeureront à jamais rares pour lui.


NB : l’histoire Dimitri est celle d’une « vraie » personne racontée par un procureur dans le livre « Dans les yeux du procureur - Chroniques de la justice ordinaire » de Jeanne Quilfen (pseudonyme également), paru aux Éditions Hugo Doc




 

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