David Lynch ; ou l'obsession pour la vérité (...et on le remercie d'occuper nos esprits vides)

Tu penses matter un film de Lynch pour passer un bon moment ? Passe ton chemin ! Ce n'est pas toi qui regardes le film, mais c'est le film qui te regarde. Des films qui, d'ailleurs, ont pour point de parler de dépression nerveuse. 

Quelques précisions.

En général...

....le métrage s'ouvre :
- par une chose horrible (l'homicide dans Wild at Heart) ;
- dans une anxiété profonde, comme celle du personnage principal angoissé par le poids des responsabilités familiales (Eraserhead, ou l'importance du contraceptif) :
- par une passion amoureuse qui dévore (Lost Highway, ou l'importance d'avoir une femme belle, mais pas trop...) ;
- ou par une félicité onirique, (Mulholland Drive et la jeune actrice qui découvre Hollywood, ébahie) ou un rêve enchanteur (Inland Empire et la jeune femme Polonaise qui rêve sa vie d'actrice hollywoodienne).

Autant de films sur la dépression nerveuse, une fatigue de l'esprit, de laquelle l'on ne sort que de deux manières :
- par la mort, souvent que l'on provoque (Eraserhead, Mulholland Drive) ;
- par la transcendance, lorsque l'on accepte son sort et son passé (Twin Peaks Fire Wall With Me, Inland Empire).

Mais dans les cas les plus funestes :
La dépression se perpétue en une boucle, et le sujet se perd et erre sans fin... (Lost Highway, Twin Peaks Saison 3). De la nécessité encore d'accepter son sort...

Mais de quelle façon se manifeste la dépression ?

Nous dirons : 
- par la rumination ("ma vie est merdique, je ne vaux rien" ; "j'ai été quitté/trompé, ma vie est gâchée") ;
-par la culpabilité (le meurtre, ou plus subtilement, le fait d'être victime).

Dans ce cauchemar que
 soudainement peut devenir ta vie, tu voudrais t'échapper de toi-même en créant un avatar, un double, un autre qui :
- si tu es une femme, voudra être connu, reconnu, célébré, regardé, adulé et désirera séduire ;
- si tu es un homme, voudra être un héros, souhaitant délivrer la princesse de son donjon (Twin Peaks, Blue Velvet, Lost Highway) et vivre diverses escapades sexuelles entre deux bagarres.

Bougre de Lynch, qui a même cerné la distinction psychologique à opérer entre les sexes... 

Voilà les vérités que la filmographie de Lynch nous révèle :
- Notre société a toujours été allergique à la réalité, jusqu'à en nier aujourd'hui de toutes simples, telle la summa divisio entre les sexes ;
- Notre société a toujours broyé ses êtres les plus vulnérables, comme ses jeunes femmes, et ferme allègrement les yeux sur les violences morales et sexuelles qu'elles subissent (tel que je l'évoquais d'abord ici). 
- Notre société est une machine à produire de la dépression, notamment du sentiment de n'être pas assez bon ; et auquel l'on est tous exposés. Sauf à avoir un niveau de spiritualité et de détachement qui relève de la divinité (ce vers quoi, il faut croire, nous devons tous tendre).

Mention spéciale pour Lost Highway qui est, pour moi, le cauchemar le plus abouti. Tomber amoureux d'une femme magnifique est à certains égards... une torture. L'homme immature et peu confiant se pose mille questions : suis-je assez bien ? pourquoi ne me rassure-t-elle pas assez ? où est-elle, où va-t-elle, que fait-elle ? tout le monde la convoite, alors peut-elle résister et rester fidèle ? 
Il est brillant de voir ce personnage imaginer qu'un homme plus "viril", plus expérimenté "s'occupe" de l'être aimé. Il est suprêmement intéressant de voir que le malheureux résume son amour à une phrase : "tu ne m'auras jamais !". Tomber amoureux d'un canon de beauté est en effet une source d'insécurité, et seul Lynch peut nous faire ressentir ce sentiment, cette mentalité très particulière. 

Peut-être qu'un film aussi sensoriel et psychologique s'en rapprocherait : le Stratège de Benett Miller, avec Brad Pitt (faut-il le rappeler).... Film qui explore profondément le mal être du manque de confiance en soi.

En conclusion :

Les mystères que Lynch insufflent dans son oeuvre nous permettent alors : 
- de penser son oeuvre, d'y repenser encore et encore... jusqu'à se repenser soi et les autres...
- ...puisqu'il faut dépasser la pure technique de l'image, pour réfléchir à chaque symbole et à chaque parole cryptique...
- ...et, forts de cette mécanique, d'appréhender la bizarrerie de ce monde avec plus de sérénité, voire plus de dérision...
- ...sans jamais oublier que le mal est le mal parce qu'il est un désir insatiable et égoïste.

On pourrait encore gloser sur la signification des symboles "lynchéens", par exemple : 
- le cheval est l'annonce du mal, puisqu'il arrive sur ses grands sabots et qu'il est imposant, mais que personne n'y prête attention ;
- le petit singe, qui représente sans doute le public qui est confus, instinctif et qui s'agite ;
- l'électricité, une énergie invisible qui est aussi utile que meurtrière :
- le rideau rouge qui incarne le spectacle, la dissimulation du réel et les coulisses de la vérité ;
- tout média qui réfléchit l'image, comme la télévision ou le miroir, qui est l'entrée dans le rêve, le début de la fuite (comme lorsque la femme Polonaise, en larmes devant son téléviseur, commence à rêver sa vie d'ultime vedette en Nikki Grace, l'équivalent d'Emma Stone, beauté mesurée et énorme talent).

Et j'en passe...

Bref David Lynch, merci d'avoir quitté ce monde en laissant à ce siècle une oeuvre d'une lumineuse obscurité ! Grâce à toi, tous ceux qui se sont détournés des choses de l'esprit et du coeur recevront un semblant de spiritualité.











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