Twin Peaks, une oeuvre scandaleuse sur le temps, les gens et l’espace

Twin Peaks n’est pas qu’une série policière sur une adolescente d’un village paumé qui s’est faite trucider comme le mouton avant une fête religieuse. Twin Peaks dessine, avec plus ou moins de respect pour qui la regarde, toutes les généralités qui font nos époques et nos sociétés.

Twin Peaks, c’est donc plusieurs choses et en quelques lignes :


I. UNE OEUVRE SUR LA LÂCHETÉ DES ADULTES

Laura Palmer fut tout à la fois mauvaise élève, prostituée, droguée et suivie en psychiatrie. Ses apparences furent toutefois sauvées par son origine bourgeoise, pour être issue d’un milieu où les services sociaux ne mettent pas le nez. 

Ces petits amis étaient trop aveugles pour percevoir ses démons : l’un d’eux assouvissait ses passions de mauvais garçons en lui fournissant de la drogue ; et son psychiatre tirait d’elle un profit affectif. Et c’est bien peu dire, puisqu’une bonne partie souterraine du village jouissait des tourments de Laura Palmer. Mais aucun de ces adultes bien dociles qui eurent vent de ces histoires ne sonnèrent l’alerte. Alors Laura voulut mourir. 

Twin Peaks est donc la véritable victime de cet assassinat, et il fallait bien un Chevalier blanc pour lever les lièvres.


II. LE PORTRAIT D’UN AGENT DES FORCES DE L’ORDRE ATTEINT DU SYNDROME DU SAUVEUR

On ne touche pas à Dale Cooper. Il est si enjoué, loyal, respectueux… Mais Cooper est un énième citadin anxieux qui est au bord de l’orgasme quand il voit des grands espaces, de la chlorophylle et autre chose que des rats, des pigeons et des chats. 

À son passif, le trop-parfait représentant des forces de l’ordre fricote avec l’épouse de son mentor, drague une adolescente pour qu’elle enquête sur l’affaire, la mettant d’ailleurs en danger, détourne une bonne soeur des voies sacrées et enfreint par deux fois le saint code de procédure pénale en menant des opérations para-policières au Canada sans l’accord exprès d’un magistrat instructeur.

Dale Cooper est donc un faux-ange-gardien enorgueillit de ses compétences martiales. Il est malheureusement affublé d’une sorte de pouvoir de divination qui l’aide à voir et à entendre les témoins et complices de crimes. C’est donc un héros d’apparat qui incarne la lutte divine contre le mal suprême. 

Ce n’est pas fini. En plus d’être surréaliste, Cooper a renié les préceptes chrétiens pour le sous-dogme du bouddhisme, raison pour laquelle sa vision du mal sera si étriquée.


III. UNE COSMOGONIE DE L’EMPIRE DU MAL

Pendant que le citadin récite des incantations new-age, le campagnard, membre universel des « vrais gens », déclame des psaumes et invoque les anges du règne des cieux.  Or, à Twin Peaks, les anges apparaissent, comme à Lourdes et Saint-Jacques de Compostelle, sous leur véritable aspect iconique.  Ainsi l’homme de la nature est davantage dans le vrai que les autres. 

Dans Twin Peaks, le bien existe car le mal existe. Le mal apparait dans « Bob », prénom typiquement masculin et sans origine biblique. Bob, et non pas Daniel ou Josué, est le mal païen, issu d’une déesse païenne, Ishtar (ou « Jowday »). Jowday se serait mise à vomir Bob le bouilleur, et des clochards exploseurs de têtes pendant les essais nucléaires américains.  Or, cette simple vision « du mal que font les hommes » nous est déjà pénible. La « Bombe » (tient !) nous apporte la paix depuis 80 ans. Du moins dans les pays développés. En vomissant Bob, Judy a fait de Laura l’agneau sacrificiel qui deviendra l’emblème de la « peine et de la désolation ». La notoriété de Laura Palmer n’est jamais donc qu’une campagne préventive contre l’omerta entourant la drogue, la prostitution et les violences intra-familiales.

Cette campagne sera-t-elle cependant efficace ? Non, puisque 25 années après le drame, le monde sera plus violent, dépravé et dénué.

Alors la belle cité transformée de Twin Peaks deviendra l’empire de l’oubli, en sus de celle du mal, son terreau fertile.

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