Juan Branco, praticien du chaos

    Certains se tuent pour s'élever dans la société ; d’autres font très exactement l’inverse.  Parmi ces autres : Juan Branco. 

    Entre l’ENS, Sorbonne et Science-Po, cet intello a plus de labels qu’un coureur du Tour de France. Entre la rue des Écoles et celle de la Montagne-Sainte-Geneviève, Juan a bûché comme un boeuf, non pas pour devenir Young Leader, mais Grand gêneur. Un poste de plénipotentiaire au Quai d'Orsay avec bureau, ficus et secrétaire ? Très peu pour lui. Juan décidera d'être "traitre à sa classe". Et son but ? Détruire. 

   Avec la force de 36 chars Leclerc, il part broyer, anéantir, pilonner une caste trop bien née, infoutue d'user ses dix doigts, si ce n'est pour cirer des mocassins à gland. Alors contre tous ces petits laquais qui ont su se placer, Juan Branco est à la fois l'Antéchrist et la Némésis. Comme le Partit Obrer d'Unificació Marxista lancé à 147 joules contre le franquisme, Branco provoque chaque matin des tempêtes dialectiques, et si possible devant des journalistes qui auront forcément du mal à suivre. 

    Juan sait aussi capter la rancoeur de l'affligé et du laissé-pour-compte, parce qu'il a pris l'option colère en LV2. Juan a la bile. La bile noire, la même qu'Achille à la mort de Patrocle. Mais cette fureur volcanique reste adoucie par mille ans de poésie et de philosophie que Juan s’est joyeusement inséré dans le gosier, un peu à la manière de Gargantua. 

    Donc, altruiste ou honteux ? Quelle est la réelle motivation ? Énigme. Branco serait pour certains de la gauche dure, celle de la spoliation et du désordre ; pour d'autres, il est de la gauche traditionnelle fondée sur l'entraide et la participation. Cette lecture est toutefois horriblement tronquée. Car, en effet, Juan le sensible, Branco le romantique exècre le croyant extrémiste du tout économique qui est si indifférent à la misère d'autrui. Il est clair que l'extrême-centriste est très peu artiste. Mais nous savons aussi que son combat pour Assange lui a coûté cher. Il parle volontiers de "celle qu'il pensait être l'amour de sa vie" et qui s’en est allée. Joli nom indien au passage. Voilà donc le moteur de Juanito pour tancer les froids et les calculateurs, et il s'agit du manque, du désir contrarié et de l’orgueil blessé. Mais les plus ridicules diront que Gabriel Attal lui a en fait piqué sa copine de l’époque du lycée... Ce qui est somme toute assez improbable.

    Donc, Juan a la parole déferlante, et il embrassera naturellement l’avocature, un corps qui lui confèrera le seul et unique privilège qui lui est supportable : celui de parler, énormément, sans être interrompu. Toutefois, malgré ses qualités évidentes, sa fougue irrite, sa culture agace et son militantisme fâche. La profession des robes noires est alors attentive à la moindre entorse de Maitre Branco à la déontologie. Ainsi, malgré le prestige de son inscription au Barreau de Paris, Branco vit de ses ouvrages, et sillonne contre de maigres émoluments les tribunaux de justice rapide pour notamment défendre le manifestant présumé séditieux, ou le sans-abri qui a eu le tort de charrier le couple présidentiel.

    Alors, oui le praticien Branco est un immodéré qui a prêté serment de modération. Oui, dans cette pratique du droit, il ose déposer plainte contre son bâtonnier. Oui, il exerce des recours qui visent à protéger les libertés fondamentales pour entraver le transfert de Lionel Messi. Oui, il souffre de l'assez peu rare "complexe de Jacques Vergès", en ce qu'il voit des procès politiques partout. Et qui dit "défense de rupture" à la Vergès, dit dialogue rompu avec l'institution judiciaire, donc désordre provoqué. Mais qu'importe ! Laissons cet esprit libre exercer ses prérogatives !

    On lui reproche aussi son hubris, mais c'est un grief bien banal à lui faire. Car qui saurait justifier de grands desseins sans avoir un melon que l'on pourrait confondre avec la planète Pluton ? Et Juan a ceci de fascinant qu'il est un sage sans vertu. Chargeant à l'envi la plume au poing sur le « macronistan », Branco apparait comme un théoricien du chaos, et plus encore car le chaos, il le pratique. Démolir, oui. Et après ? Pousser l’indigent à la révolte ? L'inciter à essuyer en première ligne les tirs des forces de l’ordre ? Et où sera le Docteur Branco quand ça commencera à péter ? À place de la République ou à Marbella ? Si seulement nous avions au moins un projet de société solide pour lequel se battre... En cela, Juanito tomberait dans les travers classiques du simple opposant. L'ami Branco affirme même se voir en "procureur d’un tribunal révolutionnaire", or il s'abaisserait là dans la posture de l'éternel accusateur, au lieu de s'élever dans celle du bâtisseur. Tout cela s'entend donc comme un voeux de désorganisation. Et par définition, le chaos n'est jamais qu'un désordre qui obéit à un ordre très strict. En conséquence, le néant institutionnel que Juan suggère ne sera jamais comblé que par les passions tristes et impérissables des hommes, et elles se manifesteront dans une réincarnation de la guerre de tous contre tous gouvernée par de petits seigneurs féodaux.

    Mais, admettons-le, Juan est un des derniers vivants, un grand furieux avec une volonté de puissance admirable. Il a saisi avec une rare acuité toute la stérilité de la molle noblesse commerçante qui nous gouverne, et se propose avec abnégation de la démonter méticuleusement. Plus intéressant encore, il symbolise à lui seul la douleur narcissique mutée en militantisme forcené. C'est comme s'il voulait réparer une injustice subie dans son intimité en agissant contre celles de la société. Victime du plus douloureux des rejets, il souhaiterait ardemment faire corps avec le commun, et fonder une union cette fois politique qui ne reposerait que sur sa force de travail. 


    Cependant, une telle noirceur ne peut qu'absorber toute matière, et s'il est victorieux espérons qu'il n'abusera pas du pouvoir qu'il tire des accablés, au risque de finir par se faire rosser, car Juan Branco n'est pas chaotique, il est le chaos.

Commentaires

  1. Waouh! Qu'en penses ty Juan? Vrai? Severe? Abuse? Quelle est la realite, face aux supputations?🤔 ce serait interessant de confronter les avis car le sujet est d'une importance capitale a mes yeux, concernant la personne publique Juan Branco...car je sens un manque d'objectivite, sans vouloir critiquer l'auteur de ses propos! Et son theme astral? Ca m'interesse pour avoir un portrait complet du personnage!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout d'abord, merci pour ce commentaire ! Il faut que je vous avoue que j'apprécie fort Juan Branco et que j'aurais eu bien plus de plaisir à faire un texte purement laudatif, un peu sur le ton des premiers paragraphes. Je souhaitais raisonner sur ce qui anime une âme aussi vive. D'une manière moins plaisante sans doute, je tenais aussi à développer quelques craintes face un caractère aussi puissant. Même s'il n'est pas un décideur politique au sens institutionnel, il a un pouvoir considérable de persuasion, tel que je ne l'ai jamais vu de mon vivant. De plus, je suis ravi que la communauté de JB comprenne que le terme "chaos" n'est pas forcément péjoratif, car du chaos il peut ressortir du bien. C'est un concept qui n'est pas réductible au mal, contrairement à l'idée populaire. Enfin, si vous le souhaitez, vous pourrez aisément deviner mes convictions politiques car elles sont amplement développées sur ce blog. Merci de m'avoir lu !

      Supprimer
  2. "Et son but ? Détruire. " dites-vous !!! non ! "juste" il ne veut pas vendre son âme au diable ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Détruire... pour mieux reconstruire possiblement ! Ce sont toutes les intentions de Juanito que je tente de cerner. Et il ne fait nul doute qu’il ne donne son âme ni au diable ni à Arnaud Montebourg.

      Supprimer
  3. Je l'ai accompagné à Londres 2 fois pour crier à la libération de Julian Assange. J'ai apprécié sa compagnie, il ne vend pas son âme au diable, il va au bout de ses convictions quoiqu'il lui en coûte. Un homme sensible et profondément humain qui à en horreur l' injustice.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ainsi que je le percois. C'est l'une des raisons pour laquelle je le suis, ainsi que son engagement citoyen. Il a besoin d'etre soutenu, c'est evident et vital,pour ne pas sombrer, car tout homme fort a ses limites, surtout le milieu qu'il frequente. J'espere qu'il est bien entoure, par des personnes de confiance. Nous vivons dans un monde tellement corrompu, que les belles ames se font rares, et sont sujettes a subir sarcasmes et trahisons. Amities engagees.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

De l'impossibilité de s'approprier la pensée de Nietzsche : le cas Julien Rochedy

Exorciser le CRFPA, examen du démon - Le guide ultime des révisions

Elon Musk, contempteur du progrès, imposteur et énorme fumier

Derrière chaque moraliste, un grand coupable

Le protagoniste d’Orange mécanique, cette vermine qui vous fascine

Mad Men, le grand théâtre de la vie

Quel délit de presse êtes-vous ?

L'école des avocats : le premier cercle de l'Enfer de Dante

Peut-on se lasser de l’été ?