L’histoire de la baguette ; ou un contre-éloge du patriotisme

    « Ah ! La glorieuse baguette ! Symbole national d’un artisanat millénaire. On a la Ficelle, la Sarmentine, la Flûte, la Tradi... Elle est plutôt dorée, parfois légèrement enfarinée, mais toujours croustillante. La baguette, comme toute légende, voit son origine débattue. Elle aurait été créée par Napoléon pour que le soldat transporte facilement ses victuailles ; ou bien aurait-elle été inventée par les boulangers en 1919 pour se plier à la loi scélérate interdisant le travail de nuit, car la baguette est plus prompte à la préparation que le pain oval. Certains disent même que la baguette n'est qu'un simple simili du pain viennois, mais en plus cuite. Absurde ! Rien n'est fertile sur la terre des Habsbourg. Et nulle autre patrie n'a de tradition culinaire aussi éclatante. La France ne cesse d'éblouir de tout son scintillement l'humanité, à commencer par celle de l'Europe. Ainsi, le Pain nordique, et sa structure tout aussi phallique, est-t-il autre chose qu'un pâle ersatz de notre belle baguette, mais avec un peu plus d'orge ? Et malgré son abondante richesse, pourrait-on imaginer la très pucelle nation américaine, du haut de ses cent-cinquante années, nous concurrencer dans les coeurs avec son pain de burger ? La réponse frappe par son évidence car passé l'Atlantique, les mets sont vulgaires et engraissent génération sur génération d'hommes aux moeurs douteuses et aux palais défaits. La décadence est d'ailleurs le caractère de toutes les nations sans Histoire. Et chaque jour des milliers d’Asiatiques empruntent les longues routes de la soie, et ce pour s'offrir de bonnes baguettes bien françaises qu'ils mettront gaiement dans leurs sacs à damiers tout neufs. En cela, le Jaune, et sa logique mathématique à toute épreuve, n'irait sûrement pas chez nos éternels ennemis Germains pour se sustenter. Avez-vous vu la teinte de leur pain de seigle ? Si angoissant. Et ces autres toasts, tortillas, pains mous... Le pain des autres est assez médiocre et chaque voyage en est le témoignage ». 

    Voilà, pour toi, Français authentique, la baguette est une relique. Drapeau, chevalière, armurerie, citadelles... Ton amour du fétiche confine à l'animisme. Mais es-tu vraiment prêt à donner ta vie pour une vague idée de la nation ? La nation, cette abstraction, comble-t-elle un vide béant, un manque d'idées et de talent ? Certes, une baguette croustille, et fait un bruit agréable quand on la coupe, mais elle finit surtout en morceaux dans une petite bannette de table pour passer de mains en mains, sans égard pour l'origine de qui la savoure. Alors, bon patriote, ne t'irrite pas si les oeuvres de tes aînés sont l'objet de toutes les convoitises ! Ne soyons pas des conservateurs assis sur l'orfèvrerie de nos ancêtres. Nous aurions l'air trop amorphes, et incapables de réanimer le génie du passé. Nous ne sommes pas les conservateurs d'un musée trop grand et trop complexe. Te ferais-je aussi injure, ô thuriféraire de l'emblème, si je te tendais pitas, kebabs et bagels ? Tomberais-tu des nues si on te révélait que tous ces pains, comme la baguette, ont une parenté commune ? Puisque c'est bien sous le soleil de l'Égypte de Ramsès III que l'idée du pain au levain est née. Souffre ainsi que la science de la baguette parte d'un tas de grains écrasés et fermentés par l'eau du Nil ! Aussi, n'aie point d'adoration pour l'époque de Bonaparte, de Louis XIV, ou même de la Commune de Paris. La mélancolie est désastreuse, triste et acrimonieuse ; elle exclut sans relâche tout ceux qui ne la ressentent pas. Mais libre à toi de clore ton héritage et de t'enclaver à la terre, telle la pièce de marbre. 

    Donc cette baguette, qu'est-ce c'est ? Que tu sois nanti ou désargenté, c’est un plaisir simple que tu peux t’offrir. Un art de vivre emprunté à tes ancêtres, ou à ceux de quelqu'un d'autre. Savourer une baguette, c’est déguster une part de la grande histoire de France certes, et elle est servie par un maitre d'ouvrage qui se lève tôt, au sein d'un des derniers lieux semblables aux anciennes places du marché, où des personnes de tous horizons peuvent encore se rencontrer. Qui apprécie la vie et les gens sait offrir ce pain du quotidien, et ceci au moins dans l'espoir d'inspirer l'amitié. Alors autant vivre, et bien vivre, sans élire domicile sur les terres d’un passé révolu par crainte d’un avenir incertain.  Incertain... Un peu comme la provenance de la baguette.





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