La mort mérite d'être vécue
La mort n'est pas un sujet qui intéresse beaucoup les modernes.
Trop terre à terre pour les éternels distraits. Trop sérieux pour les immatures.
La mort n'est qu'un personnage effrayant dans un film d'Ingmar Bergman, ou une épice qui donne du piquant à une fiction.
Mais entre le moment où tu bûches un partiel à la fac, et celui où tu balances de l'eau bénite sur la boite en bois de ton meilleur pote, il n'y a qu'un pas.
Aussi reconnait-on ceux qui ont vraiment vécu de ceux qui n'ont pas vécu. Les mécaniques cérébrales sont très différentes.
Pire encore, il y a ceux qui assument à fond leur misanthropie, et ceux qui se forcent à être aimables avec tout le monde. Ceux qui se disent "pourquoi ce vieux con avec son déambulateur continue de circuler sur mon trottoir en creusant le trou de la sécu, alors que l'un des meilleurs d'entre-nous n'a même pas eu le temps de percevoir un euro de retraite ?" ; et il y a ceux qui s'enfoncent dans la contrition et dans la tolérance.
Mais, mes petits potes, la mort n'est pas triste quand on laisse son coeur pencher vers l'infini.
Même le dernier des gauchistes pénibles aux vices anti-cléricaux doit reconnaitre, dans la maison de Dieu, la justesse des trois vertus théologales qui sont rappelées par le Diacre : Foi dans les écrits ; Espérance d'aller vers l'éternité ; Charité pour son prochain.
Ainsi, dans cette grande chapelle aux icônes et aux croix voilées, il fallait bien l'intercession de ce proche, de ce défunt pour nous enseigner ces quelques valeurs qui donnent à penser.
Il fallait bien une mort, une disparition, une promesse de ne jamais se revoir pour frissonner en récitant un Notre Père, et pour se laisser bercer par le chant de "si la mer se déchaine, si vent souffle fort ; si la barque t'entraine, n'aie pas peur de la mort".
Il fallait bien un mort pour que des gens, que l'on estimait infiniment arrogants, se mettent à genoux, et joignent leurs mains sur un banc.
Il fallait bien cela pour se rendre compte que l’on est, peut-être, soi-même une pauvre merde laïcarde, biberonnée à l'anti-cléricalisme, mais qui devient soudainement jalouse de tous ces baptisés qui savent parfaitement ces rites.
Jalouse de cette civilisation qui nous saute à la tronche, nous renvoyant à notre propre barbarie athéiste ou païenne.
On sent que l'on a loupé un truc.
Mais il est possible de se rattraper. Pas pour les autres, mais pour soi.
On doit tendre vers cette complétude intellectuelle que propose la foi.
C'est peut-être la vérité. Ou pas.
Mais elle permet, dans l'immédiat, de comprendre.
Elle nous fait comprendre, en cette période pascale, que la foi renaitra - sans doute - après avoir été condamnée à mort par les Ponce Pilate du XXème Siècle : les soviétiques, les républicains, sans omettre ces foutus nazis.
Tout comme renaitra cet ami perdu, peut-être en même que le Christ. Ou pas.
C'est toutefois une belle promesse que le Diacre nous a fait.
Évidemment, les éloges sont magnifiques.
Surtout quand le loustic fut à la fois un stratège militaire, même de réserve ; également un jurisconsulte respecté.
Allez trouver une personne de nos jours dont il est notoire qu'elle pratiquait, chaque jour, la charité ; et qui manquait rarement la messe dans la paroisse même qui, à présent, l'honore.
Puis vient le moment des bénédictions.
Celui que l'on honore a reposé - toute la cérémonie durant, constellée de chants, de prières et d'hommages - dans un bel écrin de bois verni et brun éclairé par un rayon de lumière, qui traverse un vitrail.
Sa famille proche, venue d'Angleterre, vient l'honorer en premier.
Le goupillon s'agite alors dans la main de la soeur, puis de la nièce.
Cette dernière éclate en sanglots.
L'instrument passe ensuite de mains en mains, d'abord parmi les baptisés, puis parmi les apostats.
Ceux qui ont béni le cercueil reviennent sur leurs pas, souvent en arborant de grosses larmes à leurs yeux ou à leurs joues.
Cette émotion commune, cette peine partagée est intense, pour ne pas dire pénible. Et il devient de plus en plus difficile de ne pas offrir ses larmes aux vivants, comme on se l'est interdit. Surtout quand on voit une dame très belle qui, se dirigeant vers la sortie après son hommage, tantôt sourit, tantôt sanglote.
Il est difficile de ne pas être triste quand des gens que l'on apprécie sont tristes. Mais par une fierté absolument déplacée, on tient parfois à paraitre stoïque, ou tout simplement pudique. Ou bien s'agit-il de paraitre dur, dans une société terriblement dure. Mais hé ! Nous ne sommes que le produit de notre époque. Et une chose est sûre, on ne pardonne pas à un homme de fléchir, d'être vulnérable ou de suinter le deuil. Alors les épreuves doivent être prises comme elles viennent et le plus souvent, elles doivent être portées seul.
Seul, ou avec sa foi et son amour de ce qui est sacré. Car seul le coeur sait ce qui est sacré, comme lorsqu'il tambourine dans votre poitrine de tout son saoul au moment de s'approcher de l'être rappelé, et de le saluer, de le bénir et de le voir partir.
On se revoit bientôt, mon pote !
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