Écouter un livre en 20 minutes, ou le monde selon Koober
KOOBER est une start-up qui veut capitaliser sur la paresse ambiante en transformant des livres en podcasts de 20 minutes.
Une bonne idée ?
Avantage n°1 : Parcourir rapidement des livres populaires
Cette formule des résumés en moins 20 minutes sied parfaitement aux oeuvres moyennes et à la mode, en particulier celles afférentes au "développement personnel". Ce type d'ouvrages demeurera à jamais au rang des mauvais succédanés de traités philosophiques (Cf : Le Pouvoir des habitudes, les Clés de la confiance, Père riche, père pauvre etc.). D'ailleurs, cette même catégorie apparait largement dans la présentation commerciale de Koober. Hasard ?
Comme toutes les « jeunes pousses », Koober pense avoir trouvé l’idée du siècle pour devenir le nouvel Apple. Or, plutôt que de promouvoir le bonheur dans le savoir, la patience et l’effort, on incite l’homme pressé à épouser la passivité.
Certains m'ont personnellement et sérieusement affirmé que de passer 30 heures à lire est une perte de temps, et que 6 heures à "écouter un livre" sur la route demeure le gage d'un grand discernement. En tout cas, tous ceux qui m'affirmeront pouvoir BIEN LIRE en faisant autre chose, en même temps, sont de grands faussaires, et il faut s'en méfier comme de la peste.
Inconvénient n°2 : Souffrir d'une restitution incomplète de l'oeuvre
Pendant une lecture, on suit l’auteur, de la majuscule au point. Chaque ligne est l'occasion de raisonner, de critiquer, de nous réconforter ou de nous révolter. D'un regard, on peut parcourir une pensée, la lire, la relire, prêter attention à chaque mot et à l’esthétique d’ensemble.
Or, cette initiative donne l'impression de vouloir dégager du temps libre pour celui qui veut briller en société en prétendant avoir lu telle ou telle oeuvre. Ainsi, en 20 minutes dans les transports ou sur le trône, le flemmard pourrait disposer de quelques clés de lecture pour paraitre cultivé. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'en face de quelqu'un qui maitrise le sujet, le lecteur passif ne tiendra pas la distance.
Si une écoute de 20 minutes vaut mieux que rien, le risque est de passer outre le travail de l'auteur sur son style. L'auditeur ne sera pas plus conscient du foisonnement d'idées qu'il a face à lui. Rares sont les considérations complexes qui soient réductibles à 20 minutes. À l'évidence, si la pensée de l'auteur n'était pas si prolifique, il n'en aurait pas fait un livre. Sauf à meubler pour légitimer un prix de vente à deux chiffres.
Parlons-en du rédacteur... Qui sera-t-il ? Quel sera son "bagage" ? Combien sera-t-il rémunéré ? Connaissant les pratiques des "entreprises du digital", on se doute que l'auteur de la fiche sera un auto-entrepreneur forcé qui sera tout, sauf libre de ses tarifs. S'il y avait bien un bouquin à résumer à destination des "jeunes entrepreneurs", ce serait peut-être le code du travail.
Aurais-je pu développer, tant bien que mal, ma plume en ayant seulement écouté "Ainsi parlait Zarathoustra" sur audiobook ? Peut-on envisager de ressentir l'atmosphère de Cambrai avec une synthèse de 20 minutes sur "Du coté de chez Swann" ?
Voici une étape franchie dans l'infantilisation, à tel point qu'il s'agirait de donner lecture à des adultes. En tout cas, personne ne peut affirmer sérieusement que l'écoute d'un opus vaut une lecture véritable. Ce serait un contre-sens logique majeur.
Mais tel est l'impact des dogmes modernes, comme celui du productivisme, de l'hyper-consommation, ou des capacités limitées du cerveau. Des bornes existent certes, mais l'argument du "cerveau qui ne peut se concentrer pleinement que 20 minutes" est une vaste fumisterie. C'est même une théorie post-moderne, bien crétinisante, qu'a pondu un certain Peter Lorange. Est-ce un neurologue ? Un psychothérapeute ? Un neuropsychiatre ? Non, c'est... un directeur d'école de management.
Il n'existe pas de culture facile et rapide.
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