La vérité sur les Rolling Stones et cette erreur historique qu'est Mick Jagger

 C'est en écoutant pour la centième fois l'album Music From "Lil Brown" d'Africa, tout juste remasterisé, qu'une vérité m'a frappé comme le poids lourd dézingue le chevreuil sur une autoroute dans le sens de Narbonne. Cette vérité est qu'aucun groupe, aucun artiste n'a été autant repris que les Rolling Stones. 

    "Paint it, Black ?" La version d'Africa surpasse de loin l'originale, parce qu'elle traduit génialement la sauvagerie de celui qui voit tout en noir, et qui veut voir tout en noir.

    "Gimme Shelter ?" Sur l'enclume de la fin des temps, Merry Clayton envoie beaucoup d'énergie pour exprimer la puissance d'un désespoir né d'un premier état d'impuissance.

   "(I Can't Get No) Satisfaction ?" Otis Redding, c'est au bas trois mégatonnes de testostérone qui collent à des paroles qui pestent contre la lourdeur de l'existence.

 "Jumpin' Jack Flash ?" Ananda Shankar a brillamment versé son art de la musique traditionnelle indienne sur cette apologie de la substance qui fait voir des couleurs qui n'existent pas. 

Thelma Houston a elle aussi parfaitement dynamité ce titre, et j’en passe...

C'est comme si la musique des Stones était certes excellente, mais très perfectible. 

Le problème ? Je vais vous le dire. 

C'est Mick Jagger.

Pourquoi ? 

    Premièrement, il a un timbre de voix qui est fait pour commander une 17ème Guiness dans un pub de Dartford auprès d'un tavernier à moitié sourd. Mick Jagger a la même voix que feu Thierry Roland (paix sur lui). En gros, il est tout juste éligible à commenter une demi-finale de l'Euro sur M6. On ne lui demande pas d'être Pavarotti, mais on aimerait juste qu'il soit un chanteur, et pas un hooligan hurlant qui a pris un abonnement à vie au kop du FC Birmingham. Car Mick Jagger ne chante pas, il braille. 

 Deuxièmement, Mick Jagger a toujours manqué d'ambition artistique. Il partageait avec son grand ami Keith Richards une passion pour Muddy Waters, auteur du single « Rollin' Stone ». Le nom du groupe était tout trouvé. Malgré tout, ce type de Rock, celui des Chuck Berry, Little Richard et consorts, est très vite passé de mode. Mais Mick voulait absolument se déhancher, montrer qu'il avait le diable au corps, briser les dogmes, effacer des mémoires - entre autres - les gentils Buddy Holly et Ritchie Valens. Or, les Stones ont toujours souffert de la concurrence des Beatles, un tantinet plus créatifs, et autrement plus résistants aux affres du temps. Concrètement, si l'épopée du Rock était un film, les Rolling Stones n'auraient jamais eu que le second rôle.

    Malgré sa douce envie de devenir le nouveau Elvis, Mick Jagger ne restera que le danseur de l'étrange. Au T.A.M.I Show de 1964, Jagger eut la grande infortune de passer juste après l'immense James Brown. Le pauvre diable restera tétanisé par la prestation du géant. Il peinera à esquisser quelques pas de danse. La vérité fut ainsi révélée dès 1964, seulement deux ans après la formation du groupe, et cette vérité est la suivante : Mick Jagger n'est pas à la hauteur. La raison ? Contrairement à Mr. Brown, surnommé "The Hardest Working Man in Show Business", Mick Jagger ne cessera de tirer au flanc. Ce qui agacera fortement son compère Keith Richards. Tout ceci repose sur la biographie de Keith, le guitariste en chef, qui est pourtant loin de donner une allure antipathique à Mick. Les faits sont les faits. C'est Mick Jagger qui perdait son temps à papillonner en butinant ici et là tout nectar, comme le fit de tous temps le plus commun de ses pairs. C'est Mick Jagger qui appelait Charlie Watts "my fuckin' drummer", ce qui lui valut un bon direct du droit dans la trogne.

    Et parlons-en de Charlie Watts, décédé cet été. Il était l'âme du groupe. Il était aux Stones ce que Paul McCartney était pour les Beatles, et Jimmy Page pour Led Zeppelin. Le duo Watts-Richards, c'était la mélodie et l'harmonie des Stones. Ainsi, chacun peut admettre que les meilleurs titres des Stones sont ceux dans lesquels Mick Jagger ne chante pas, ou bien peu. 

Quelques exemples : 

    "The Last Time", une sonorité aérienne, douce, calme, mais d'une rare amertume. C'est la musique de l'éloignement et de l'oubli naissant. La reprise de The Verve de 1997, titrée "A Bitter Sweet Symphony", sera un succès mondial. Décidément, aucun autre groupe n'aura autant souffert des réarrangements de ses contemporains...

    "She's a Rainbow", un heureux hasard de l'Histoire. En moins de 7 notes au piano, la musique nous met une claque de couleurs et de douceur. L'harmonie domine. Mick Jagger répète deux couplets différents à des intervalles assez larges. La musique respire. Les instruments reprennent leurs droits, et la voix de Mick est réduite en volume et enregistrée en mono. Les producteurs avaient tout compris.

  "Can't You Hear Me Knocking", ou un magnifique mariage polyamoureux entre Blues, Jazz et Rock psychédélique qui se finit par une poésie instrumentale de 5 minutes, lors de laquelle on n'entend pas Mick Jagger. Un vrai bonheur.

Pour le reste, l'amour de Mick Jagger pour le Blues fera rater aux Stones le train de la Soul-Funk et du Rock dit "expérimental", période bénie. 

Ces Stones resteront à l'âge de pierre, tandis qu'un David Bowie sera dans l'ère de la Conquête spatiale. Et dans le meilleur des mondes, Bowie aurait été, et serait encore, la voix lead des Rolling Stones.

Mick Jagger sera aussi un chanteur impromptu et un danseur improbable, tandis que Freddy Mercury fera de sa voix une pièce du patrimoine immatériel de l'UNESCO. 

Charlie Watts est classé 12ème meilleur batteur de tous les temps par le magazine "Rolling Stone" (tiens...), alors que sur internet les forums titrés "Is Mick Jagger a good singer ?" ne sont pas rares. Bref, Mick Jagger est tout juste bon à jouer du tambourin et des maracas, comme ici

    En somme, les Stones doivent essentiellement leur succès à leurs riffs si plaisants et si mémorables. Avec sa belle gueule et son énergie qui plurent aux adolescentes, avouons que Mick est tout même l'amorce de leur gloire. Et cette vitalité, Mick Jagger en est toujours animé du haut de ses 78 ans. C'est sa flamme pour le genre de BB King et de John Lee Hooker qui le maintient debout. Cette passion est le secret sa longévité. Mick Jagger, c'est aussi un réseau, un répertoire qui a propulsé le groupe, et c’est une plume respectable et une certaine culture. On dit qu'il peut aussi bien adopter le parler populaire que le français pour discuter la philosophie de Sartre.

    Donc, vous, les Stones, je vous remercierais volontiers d'avoir enterré les très rasoirs Beach Boys et Frankie Valli & The Four Seasons, mais vous avez tout piqué aux Sonics, et vous n'êtes que les cousins dégénérés des Beatles.

    Et c'est pour ça qu'on vous adore.








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