L’Empire de la vérité

Dans une galaxie lointaine, très lointaine...


    « Tu as des nouvelles des terriens ? Ils se pensent seuls ces cons... ».

Traduit du centaurien.

Histoires vraies.

Quelque part dans l’Alpha du Centaure, la belle Lyr et le bon Tor se voient pour leur premier rendez-vous galant dans une sorte d’Amorino alien.

Tor (se réchauffant les deux mains avec son gobelet). - Alors, ce chocolat chaud ?

Lyr (remuant lentement sa cuillère dans le gobelet). - Bof. Zéro goût.

Tor (redressant son torse saillant). - Ah ! Les fumiers. Ces bâtards vont me niquer mon rencard ! (Rires gênés).

Lyr. - Oh mais t'inquiète ! T'as encore toutes tes chances. Je suis pas là pour la boisson, mais pour...

Tor (coupant). - OKAY ! Ça me rassure ! J’étais pas serein et j'le suis encore pas tout à fait, j'avoue... (Petit rire gêné). Mais regarde autour de toi (les deux mains en l'air), regarde cette putain de déco ! (Les bras pointant vers les murs). Ils ont même pris des serveuses avec un petit accent daritien... Arnaque, je dis. Non, mais... (perdant ses mots, puis silence).

Lyr (admirant son gobelet). - J'aime bien leur logo sinon. Regarde (elle pointe du doigt son gobelet, puis le tapote de l'index). C'est un ange, un angelot, ou un angevin, je sais pas trop comment on dit. (Éclat de rires attendris). C'est trop mignon. Regarde, il a un arc et tout... (admirant le chérubin).

Tor (craignant la suite et orientant la discussion). - L'Abolition ne fait pas peur aux commerçants, on dirait. D'ailleurs, attends (Réfléchit, regarde en l'air). Tiens. Hier j'ai écouté un audiogramme sur le câble Proxima, tu vois ? Et ces connards de terriens pensent encore qu'ils sont seuls dans l'univers, tu vois. En fait, le mec de l'audio, c'est un spécialiste, et il explique qu'on les observe depuis 7 générations, au moins... Enfin, je crois...

Lyr (se voulante rassurante). - C'est ça, 7 générations. Pile au moment de l'Abolition. Le Concile se serait inspiré des terriens pour cette monade galactique.

Tor.- Ouais, ouais, mais tu vois, le Concile des agences spatiales là, tu vois, il pense encore que la Terre n'est pas prête pour le Révèlement. Pas assez développés, les terreux (rires). Ils risquent de paniquer, et de s'éteindre plus tôt que prévu.

Lyr.- On pourrait les aider pourtant, non ? Comme Centauri B. ?

Tor (pensif). - J'pense pas. Regarde ce qui s'est passé pour la planète jaune là, vers Sirius. Les mecs étaient in-fou-tus de partager le pouvoir. Un peuple immature est forcément son ignorant.

Lyr.- Quel philosophe.

Tor (triomphant). - Ah ! Tu vois !

Lyr.- Bref.

Tor. - Bref.

Lyr.- On ne changera pas l'univers. 

Tor (baissant la tête). - Ouaip.

Lyr (plus offensive).- Bref, c'est comment entre nous ?

Tor (redressant la tête légèrement inquiet mais pas être surpris). - Ben... on se parle depuis quelques temps et je sens une vraie alchimie. On se voit de temps en temps, c'est sympa. J'aime bien aussi recevoir tes messages, ça me fait genre, très plaisir. Je suis même comme un dingue à chaque fois. 

Lyr (souriant un instant). - C'est tout pareil pour moi. Tu me plais physiquement et intellectuellement. Avant toi, j'ai eu des histoires, mais c'était pas pareil. Sur le papier ces gars avaient l'air parfaits, mais il manquait un truc. 

Tor (opinant du chef). - Je vois.

Lyr (reprenant le fil de sa pensée).- Tu vois, j'arrive à mes 60 comètes (30 ans selon le calendrier grégorien), et même si on peut vivre jusqu'à 300 comètes et plus, un peu comme nos grands-parents, tu vois, les filles ont une date de péremption. Et j'ai un peu - même beaucoup - peur de... vieillir et de me caser trop tard. 

Tor (ne résistant pas à intervenir). - Mais les gens sont sains de nos jours. Pas de putain de cancer - pas comme au sud de la Voie lactée, là... Là-bas, j'te jure, les gars refoulent tout, ils se soumettent bêtement. Puis toi, t'as une génétique divine. D'ailleurs, quand je te vois, j'ai envie de te faire plein de bébés. C'est clair comme un ciel d'azur... (rires taquins).

Lyr.- Je veux pas du tout prendre le risque que mon enfant ait un problème. Puis j'ai plus le temps, j'ai plus envie d'attendre, ni de m'amuser. Tu comprends ? J'ai la pression sociale aussi. Mes amies s'unissent monadiquement toutes les unes après les autres, et ça me fout la pression. De quoi j'ai l'air ? D'une fille difficile ? Ingérable ? Indésirable ? Je peux pas attendre mille comètes. J'en ai marre d'être seule.

Tor (regardant en l'air, comme pour choisir soigneusement ses mots et trouver quelque d'intelligent à dire).- Tu sais que je lutte depuis tout à l'heure pour ne pas regarder ta poitrine ?Tu as un corps terrible. D'ailleurs ton tricot te va super bien !

Lyr.- Déjà c'est pas un tricot mais un chandail !

Tor.- J'ai juste envie de te l'enlever et de te dévorer.

Lyr.- Eh ! Je te parle sérieusement là ! 

Tor (se reprenant).- Je trouve que c'est quand même un peu tôt. C’est difficile de se projeter. Tu savais qu'avant l'Abolition, nos ancêtres ne se posaient pas toutes ces questions si vite ? Ils faisaient de "l'hypocrissie" et du "manssonge", je crois. "HypoCRISIE" et "MONsonge" plutôt. C'est ça. Tu vois le truc ? C'est maintenant réservé aux artistes, aux écrivains... J'ai lu la Comédie universelle, enfin juste le premier tome. Ça racontait un peu la vie des terriens. Ils "pipeautaient" pas mal. Ce mot me tue. "Pipeauter", "faire de la baliverne"... 

Lyr (avec un ton professoral).- Abolition du mensonge et de l'hypocrisie, oui heureusement... J'ai étudié ça en cours d'Exploration de l'inconscient. C'est plus tellement dans nos mœurs. Bref, t'as encore digressé...

Tor.- Enfin voilà, je suis chaud pour me caser, mais il me faut un peu de temps, il faut laisser le truc monter, et ne surtout pas se précipiter. Si tu veux tout savoir, je suis un peu égoïste et assez immature. J'ai la flemme de laver mon linge et de me préparer à manger le soir. Niveau bouffe, je suis difficile. Je mange pas de trucs avec du blé, que de la bonne viande. Puis je déteste qu'on m'adresse la parole à 3 moments précis - écoute tu vas rigoler : le matin, puis quand j'écoute une transmission, et après l'orgasme. Ça me rend dingue. Puis je sais ce que je ne veux pas, mais je sais pas bien que ce je veux. J'ai eu des relations et j'ai pris v'là les gifles. Des meufs qui t'adorent au début et finissent par ne remarquer que tes défauts. Ça me gave à un point... C'est si banal. On se lasse de tout aujourd’hui. Et d’une vive-comète à l’autre, une personne peut changer radicalement. Chaque fin de cycle est fatal. Donc je crois pas en un lien éternel, ou je-ne-sais quoi. On fera des gosses, puis y'a moyen qu'on ne puisse plus se blairer au bout de 20 comos. C'est toujours pareil. Donc ouais, je t'aime bien parce que, de ce tu m'as dit, t'as des parents instruits, une famille sympa, sans trop de désunions monadiques dans la tienne, comme dans la mienne, et des valeurs solides. Pas une libertine dégénérée et sans âme. Je pense pas que tu me planterais au bout de 10 comètes, ou que tu sois là juste pour mon statut social. T'es une sécurité, j'en suis sûr. Je tiens pas à ce qu'une femme se tire avec les enfants et la moitié de mes fesses (rires désamorçant). Prenons juste le temps de faire monter la sauce, les sentiments... Pour moi, le couple, c'est juste quelque chose de plutôt agréable. Tout au plus, quelque chose qui peut t'élever, t'aider à progresser. Je veux quelqu'un qui puisse m'aider autant que je peux l'aider. Ça peut paraitre un peu froid, mais j'essaye d'être réaliste.

Lyr (pensive).- Je vois...

Tor.- Tu vois, j'ai pas non plus envie de lâcher mes passions et mes loisirs et tout donner pour un truc ultra-fusionnel. C’est débile. Je suis à fond dans le sport, la musique, ça m’apporte plus que ce que peut me donner le couple. À chacun son style de vie. On n'est plus des gamins pré-pubères. Rappelle-toi, à cette époque on ressentait les choses puissance 1000...

Lyr (pensive).- Ça peut revenir. Je veux dire, la passion forte. Faut trouver la bonne personne. Ça doit être un 10/10 ou rien.

Tor (d'abord flatté, puis terrifié).- C'est-à-dire ?

Lyr.- Faut que tu saches que je n'ai pas de temps à perdre. J'aimerais me fiancer dans l'année, ou dans 2 années tout au plus.

Tor (soulagé de n'avoir pas été rejeté).- Passons du temps ensemble alors, puis on verra.

Lyr (confiante et rassurée). - Ben okay. Bon, on mange ? T'aimes le blé, c'est ça ?

Tor.- Ouais j'adore ! Mais présentement c'est toi que j'aimerais manger.

Porté par son désir de procréer, le couple savourera ce soir-là sa première nuit anté-nuptiale. Et apparemment, l'attente en valait la peine. 

Puis Lyr et Tor vivront assez heureux, malgré quelques crises de nerfs. Ils géreront parfaitement leur lassitude d'être ensemble, l'admettrons sans détour, et s'adonneront sans honte au libertinage, une fois leurs 3 enfants, Ocarin, Clavo et Cymande, devenus libres et indépendants.

***

Autre lieu. Même époque. Même galaxie.

Artour, jeune Lor, discute monades et sciences du corps, avec Corto, Lor aguerri. À ce moment, Artour est sur le palier du bureau de Corto, un rouleau de papier toilette entre les mains.

Artour (debout, d'adressant à Corto).-... donc je l'ai vue hier soir en sortant de la Basile. Rappelle-toi, elle fait de la monade de la construction.

Corto (confortablement installé sur un énorme fauteuil en chumi brillant).- Ah oui ! Je me souviens, celle avec un cul monumental ?

Artour.- Ouais, elle était dans ma promo. Titrée Lora depuis 6 comètes, comme moi.

Corto.- Vu que t'es dans la monade criminelle, t'as plutôt intérêt à serrer une bourgeoise, oui (rires). Mais à vrai dire, je ne pense pas qu'elle soit très cérébrale. Si t'en veux une intéressante et bien cultivée, fréquente un club de lecture. Te connaissant tu banderas bien dur...

Artour (toussotant puis reprenant, plus catégorique). - Hum. Sinon t'as vu les infos cosmiques hier soir ?

Corto.- Nan, je ne suis que l'actu géo-cosmique, le reste ne me fait pas tripper.

Artour.- Ben, ça concerne un peu ce sujet. J'ai vu que sur Terre, on accusait un mec d'avoir abusé de femmes, et tout le monde lui tombait dessus.

Corto (Sincèrement étonné).- Ah ouais ? Quelqu'un qui n'est pas plaignante l'aurait vu ? A filmé ? On l'a enregistré ?

Artour (levant son rouleau de papier toilette).- Non.

Corto.- Y sont tarés. Tu savais aussi qu'ils jetaient des cailloux sur des femmes jusqu'à ce qu'elles en crèvent ?

Artour (les yeux en grand).- J'ai entendu parler de ça ! Putain de barbares.

Corto.- Des singes.

Arrive alors brusquement Lor Édri, forçant Artour à se décaler d'un pas nerveux. Il s'adresse aux deux.

Lor Édri (tançant les présents).- Vous travaillez jamais, vous autres ? (S'adressant à Corto). Eh ! (jovial) Tu savais que j'ai encaissé 3 000 égos depuis ce matin ? Alors, mon cochon ?

Lor Corto (vite agacé).- Génial, mon blondinet. Tu pourras te payer un nouveau masturbateur tout terrain. Un client m'a dit qu'ils avaient sorti le nouveau modèle avec un vagin Power Vortex QC35ii. Fonce mon ami.

Lor Édri (toujours jovial).- Eh ! Je peux me payer toutes les putes de la galaxie si ça me chante ! Vois-tu, c'est l'avantage d'avoir bossé pour des grands noms. Le prestige te suit partout ensuite. D'ailleurs, j'ai su que t'as fait libérer un faux-cul. Bravo ! C'est quoi l'affaire déjà ? Il racontait un tas d'histoires à la noix pendant une soirée, et les gens les gobaient ?

Lor Corto.- Ouais. C'était juste un mec peu alcoolisé que j'ai réussi à le faire passer pour un écrivain. Ce con avait signé un aveu de compromission. J'ai sué sang et haut à l'audience pour déjouer les apparences.

Lor Edri.- Je pense que t'as eu de la chance. Le premier conciliateur est un laxiste. C'est connu. (Se tournant subitement vers Artour et s'adressant à lui). Et toi, qu'est-ce que tu branles avec ce rouleau de PQ ?

Artour.- Y'en avait plus, chef. 

Lor Corto (après avoir réfléchi un instant, il s'adresse à Édri).- Eh ! Ne m'en veux pas si t'es horrible et que moi je suis sublime. Si un jour tu te débarrasses de cette mèche dégueulasse, un jour, et je dis bien un jour, tu pourras obtenir quelques interactions sexuelles avec une femelle qui n'est pas au tapin, ni virtuelle. Et peut-être qu'à ce moment, ton ex reviendra dès qu'elle aura fini de se faire malaxer par son professeur de poterie ou son plombier. Tocard !

Lor Edri (déconcerté).- Quoi ?

Lor Corto (haussant le ton).- Autrement dit : casse-toi de mon burlingue !

Lor Edri.- Aller, pas le temps de jouer (tourne les talons et s'enferme dans son bureau).

Artour (s'approchant de Corto).- Au fait, pourquoi t'être associé avec ce branque ?

Lor Corto.- Pour son réseau, ses privilèges de naissance, sa compétence d'enflure de monadiste des affaires... Les castes "d'en haut" font la pluie et le beau temps sur la profession. Se lancer à son compte, c'est la croix et la bannière. Donc cet enfoiré m'est utile. Et il le sait. Lui, il a voulu me rejoindre parce que je suis putain d'imbattable, un dieu de la dialectique bordel ! (Rires). Et il le sait ! Je plaisante un peu... mais il est pas très ambitieux.

Artour.- C'est le souci de ceux qui sont nés avec une louche d'Uranus dans l'fion. Ils montent haut très vite, mais jamais très haut. Ces bananes resteront bien longtemps à mi-hauteurs, à défaut d'avoir les crocs. Nous, les chiens maigres, on a une sacrée dalle, et notre ascension ne connaitra pas de limite.

Lor Corto.- Toi, on peut dire que tu sais parler. Belle philosophie, mon grand. Voilà pourquoi on cravache ensemble. Au bon moment, tu m'aideras à évincer cette vermine d'Édri, mais une fois qu'on aura bien grandi... certes, un peu grâce à lui. Et il le sait aussi. Il compte sûrement partir de lui-même, histoire de sortir la tête haute. Il sait que je le domine sur tous les plans. C'est pour ça qu'il est agressif. Donc il veut tirer le meilleur profit de notre partenariat avant que je me fâche, et lui mette mon pied au cul.

Artour.- Sublime. Vraiment ravi que tu envisages que l'on fasse un bout de chemin ensemble.

Lor Corto.- Crois-moi, ça va chier des bulles carrées.








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