Le droit de la propriété du XXIème ; ou un retour au fouet et aux chaines en acier

Nous sommes en temps de paix et nos abjects gouvernants savent que vous adorez votre confort et abhorrez l'effort. Vous êtes de la majorité demeurée qui achète son Marvel en VOD, son Elden Ring sur STEAM et d'autres applications à la Dofus ou à la Clash of Clans (en sus de bonus payants pour les plus lobotomisés). Mais vous êtes heureux. Et pas question de vous interroger sur les causes de la raréfaction de la matière. Pas question de raisonner et d'imaginer que l'industriel n'a plus aucun respect pour vous. Car acheter des matières premières et les façonner, cela lui coûte bien trop cher. Vous coûtez trop cher. Vous ne méritez pas l'artisanat. L'époque de l'artisanat est même morte. Morte et enterrée ; et enfouie bien plus profondément que l'énorme tête de ragondin en rut que le politicien se met dans la terre, dès qu'on lui parle bien commun, vie décente et services publics opérationnels. Il en va de même de vos joyeusetés numériques. Ce que le chantre de l'internet vous vend, ce ne sont que les spectres de vos bonheurs éphémères. Des produits qu'il vous donne d'une main, et qu'il peut vous reprendre de l'autre. Vous n'êtes plus titulaire que de droits d'usage temporaires. Vous assistez à la fin du support physique, et à la possibilité de transmettre à vos enfants, ni même de prêter des biens. Vous êtes accrocs à vos bienfaits en ligne, et les petits génies de l'informatique ont bien fait de vous prendre votre argent, lequel sera mieux dans leur poche que dans la vôtre.

Qu'importe alors que les tablettes, téléphones tactiles, et autres appareils qui rendent myopes, dégradent nos enfants. Ce sont de formidables puits financiers. Rien ne doit arrêter le "progrès", et encore moins la croissance. Rien ne doit entraver cette vocation ultime du pays surdéveloppé : sans cesse optimiser et accroître les marges des entreprises. Plus elles gagnent, plus elles recruteront - nous dit-on. Mais si toute l'innovation tend à faire des écrans toujours plus fins et des applications toujours plus addictives, les emplois ne finiront-ils pas être inutilement hyper qualifiés ? 

- Augmenter les marges ;

- Développer la "compétitivité des entreprises" ;

- Placer la liberté du commerce au-dessus de toute autre liberté et de tout autre droit. 

Voici le projet. 

Cependant, réjouissez-vous qu'il vous soit encore possible d'acquérir un bien immobilier. Car la pierre et son lien avec le sol, consacre votre appartenance à la communauté humaine. Elle marque votre envie de conquérir un territoire, aussi infime soit-il, et d'y fonder votre propre civilisation, aussi modeste soit-elle, et que l'on appellerait "famille". Ce besoin de posséder tend à cesser de simplement appartenir. Avoir la propriété, c'est se libérer. C'est régner. Du moins en théorie.

En pratique, votre droit de propriété n'est jamais qu'un pouvoir concurrent à celui de l'État. C'est une puissance insupportable que la puissance publique peut vous aliéner par "l'expropriation pour cause d'utilité publique". Or, on ne connait pas vocable plus hypocrite. Car, en jurisprudence civile, pas une semaine ne passe sans que l'État français ait contraint un citoyen à lui céder son terrain à un prix au moins de 20% inférieur à sa valeur. Expliquez-moi en quoi le projet du "Grand Paris" est "d'utilité publique" ? Raser des maisons pour étendre des lignes de métros ? Survendre les biens de la banlieue proche ? Montrer que Paris est assez grande pour accueillir les Jeux Olympiques ?  Concrètement, ce qui va arriver, c'est le Cheikh Nasser et le vice Prince Abdallah, trentième dans l'ordre de succession au trône Saoudien qui, lassés de fouetter des vierges au clair de lune, investiront massivement sur nos terrains pour y laisser des logements vacants. Mais ils ne resteront pas. Trop peu de mineures à malmener en France. Malgré cela, ils bénéficieront bien de "zones franches", leur offrant de mirifiques avantages fiscaux. Jaloux ? Toi aussi, sois milliardaire, Jean-Classe Moyenne. Tout n'est qu'une question d'opportunité et de volonté.

Donc il importe peu que l'ouvrier français soit un des plus rentables au monde : pour un salaire minimum annuel de 15 600 euros, il rapporte à son entreprise 40 000 euros en moyenne. En fait, il est la dinde que l'on mange à la fête de la moisson ; il est le premier agneau sacrifié dans le Livre de l'Exode. Tout le monde sait qu'il existe, mais personne ne le respecte. On le cajole, puis on le dévore. Et cette éternelle victime de la prédation est contrainte de vendre de son temps, au moins 7h par jour, 5 jours sur 7, contre un salaire compris entre 1 300 euros (pour un job de rêve comme "préparateur de commande") et 2 000 euros pour les plus qualifiés (hors les secteurs vides, ces vraies bulles que sont l'informatique et l'achat pour revendre). C'est d'une infinie violence. On vous astreint d'abord à accepter des contrats courts. Un premier pour répondre à un "besoin immédiat en ressource opérationnelle". Puis un second pour "faire vos preuves". Enfin, avec un peu de chance, vous parviendrez à obtenir un contrat sans durée déterminée pour être lessivé, essoré, broyé à faire des tâches répétitives pour des causes insignifiantes. Qu'importe là aussi. Pour être propriétaire de son "chez soi", il faut bien emprunter et rassurer les banquiers, non ? Le contrat à durée indéterminée est le sésame conférant la seule prérogative de l’esclave : régler chaque mois des intérêts pour un service inexistant et pour engraisser des banquiers qui travaillent à peine. La même remarque s'applique à ces parasites de notaires, d'agents immobiliers, de courtiers, d'assureurs...

En somme, le travailleur n'est plus propriétaire de son temps, et le peu qu'il gagne, il est contraint, par toutes les forces concordantes de ce système, de s'en délester. Toute protestation est vaine. Son seul pouvoir est de quitter son emploi pour un autre, plus lucratif. Et, nous dit-on encore, s'il est créatif et plein d'idées neuves, il peut entreprendre (et perdre une bonne mutuelle, avoir des recettes aléatoires, réduire ses droits à la retraite...). En vérité, le régime de "l'auto-entreprise" sera érigé comme le mode normal du travail : 

- Fin de la sécurité pour le travailleur, ni aucune contrainte pour l'employeur ;

- Plus de primes, d'augmentation, de chèques vacances, de tickets restaurants, de comités d'entreprise, de médecine du travail, ni même de bureaux ou de loyers commerciaux. 


Pour vos services, l'entreprise vous proposera ses tarifs en vous soumettant un contrat standardisé et non-négociable. À la belle époque où vous étiez payé 15, on ne vous donnera plus que 5 pour le même travail. De quoi vous vous plaindrez ? Il s'agira juste de travailler plus... Mais cette vaste blague conceptuelle a une chute : l'employeur s'attend malgré tout à ce qu'un "freelance" soit aussi loyal et rigoureux qu'un salarié qui aura assimilé la culture de l'entreprise. Toutefois, l'auto-entreprise aura pour le système un effet inattendu : celui qui fut salarié reprendra possession de ses moyens productifs. Il sera plus fort. Plus fort, car il s'alliera. Ainsi, ces auto-entrepreneurs formeront un capital alternatif et dissident à ce grand capital originaire. Ils créeront un autre trust, qui sera plus juste, et répartira mieux les profits. Ils créeront leurs propre marque et auront, eux, le sens de la production nationale. Ils vomiront l'exploitation de la misère à l'Extrême-Orient. Ils échangeront sous les radars avec des cryptomonnaies, lesquelles ne seront pas frappées par le cancer de la spéculation. Ils montreront l'exemple en s'affranchissant des volatilités boursières. Telle sera l'histoire de la Résurrection de la civilisation qui trépassa lorsqu'elle accepta son sort après la "crise des subprimes", provoquée par quelques pauvres dégénérés de classe internationale. Mais l’échange, le troc, le mépris de la monnaie sonnante et trébuchante : voici le progrès.

Mais à ce jour, est bien lointaine l'époque des physiocrates français de l'époque pré-révolutionnaire. Ceux-là croyaient que toutes richesses devaient impérativement provenir de la terre, car tout autre travail qui ne procéderait pas de l'agriculture ne relèverait pas de l'ordre naturel et n'aurait ainsi aucun sens. Alors, que les (malheureusement) décideurs de notre ère relisent notre Déclaration de 1789. Ce texte érige le droit de propriété comme la plus haute des libertés. C'est le droit de reprendre son destin en main. C'est le pouvoir de jouir des "droits les plus absolus" sur son bien : en user parce qu'il nous est utile (usus), en tirer profit en ce qu'il peut être utile aux autres (fructus), ou s'en séparer définitivement au moment opportun, contre ou sans rétribution (abusus). 

Or, si un de ses trois attributs vous manque, alors vous n'êtes pas vraiment libre.

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