Le Brazil de Terry Giliam est à l’image de vos songes

On ne va pas se mentir. Brazil est un film raté. Point fort toutefois : Jonathan Pryce investit en toute majesté le rôle du coincé du bulbe, avec sa tête d’épicier tunisien et son air complètement hagard que tire un agent du fisc quand il entend que 1 et 1 font 11. 

On nous l’a fait pas à nous, Terry. Ton Brazil est l’adaptation officieuse du 1984 d’Orwell, dans laquelle Sam Lowry, joué par J. Pryce, est un fonctionnaire qui vit, survit dans un environnement d'un gris dégueulasse. Ton putain de film est aussi un tableau parfait de la grosse bureaucratie. Une bureaucratie qui se trompe, qui t’attrape, te dépouille et te laisse pour mort. Une réclamation ? Le service ferme à 15h. Et n’oublie pas le formulaire 22-375 D enfoiré. 

Alors pourquoi le film est foiré ? 

Parce que tout nous est expliqué. On nous explique que Lowry a une intelligence supérieure à la moyenne, fort alors d'une pleine conscience de la  morosité ambiante et du plus haut comique de sa destinée. Il est au quotidien entouré d’arrivistes, de gens qui n’assument pas leurs rides et qui sont convaincus de manger un tartare de boeuf, quand ils n'ont dans leurs assiettes que de la bouillie. 

Brazil est donc l'histoire d'un homme malin, mais opprimé. Ses seules échappatoires sont ses nuits à rêver, qui rêve d'être un héros ailé qui terrasse des dragons et sauve sa princesse. Peut-être sa princesse a-t-elle vraiment existé. Peut-être son esprit s’efforce-t-il de revivre avec beaucoup d’emphase des moments délicats. Tous, nos songes nous ont donné la reviviscence des instants heureux lorsque nous vivons des moments pénibles. Ces souvenirs nous hantent plus qu’ils nous plaisent. Maladresse d’une psyché qui pleure ses heures les plus claires. Mais pour Lowry, c'est ça son Brazil. C’est son soleil en temps de pluie, son aquarelle sur toile cendrée, son choeur sur psalmodie. Alors Lowry parait demeurer le seul homme au monde capable encore de rêver. Son esprit toujours intact résiste comme il peut.

Finalement, ce Brazil est un pont narratif que s'est construit le héros pour atteindre son empyrée. Lowry s'imagine accompagné de son Virgile, M. Tuttle, dissident omnipotent et omniscient, véritable deus ex machina sur pattes, pour le guider vers sa Béatrice. Car, lucide, Lowry se sait doucement broyé par une machine administrative qui n'est ni plus ni moins que son emphytéote. Et au terme de son escapade contra legem, seul survivra son esprit, parcelle divine empreinte d’éternité.

Néanmoins, ce film nous outrage avec sa petite intrigue, son incessant comique de situation, sa fuite en avant aussi poussive qu'un brainstorming dans un conseil ministériel français. Aucune place non plus pour les personnages, leurs histoires et leurs dilemmes... Comme le plus récent The French Dispatch (commenté ici), Brazil est un blockbuster d'auteur qui a des idées phénoménales mais, ivre de ses moyens colossaux, reste aveuglé par la vision de son auteur.

Alors de ce film on retiendra tout juste que l'absurdité est ce qui caractérise le mieux la tyrannie, laquelle ne survivrait pas sans le consentement décérébré de la multitude, laquelle a fait elle-même son Brazil d'une société qui, aussi laide soit-elle, lui a garanti bien-être et boissons sucrées à vie.


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