Y’a-t-il un Mathieu M. dans chaque classe ?
Dans la lignée du portrait de Nicolas Picard et de sa fabuleuse épopée, voici un propos sur un autre sacré loustic. L’animal était dans mon collège, et aussi un peu dans mon lycée, car malheureusement nous partageâmes quelques classes. Et si j’use ainsi du passé simple, c’est bien pour marquer l’écart entre ma narration et l’insignifiance du sujet. Mathieu M. donc. En vérité, il ne s’appelle pas vraiment Mathieu. Le bougre appartient à une minorité protégée. Ainsi dois-je le voiler du blanc drap de l’anonymat ; autrement dit, un drap d'une complexion contre laquelle le racisme n’existe pas.
Mathieu est très querelleur. Dès l’âge de 12 ans, il cherchait souvent la confrontation physique. Il vous injuriait, prenait votre nom de famille et l’écorchait, et tentait même de savoir le nom de votre mère pour, comme il le fit parfois, l’implorer en vain, ou l’employer en des termes salaces. Mathieu a un humour très limité et circonscrit à la moquerie, bien qu’il se fisse assez pieux ; mais sa religiosité avait des allants d'ostentation et de prosélytisme, sans être très rigoriste. Le Carême, il le pratiquait par habitus et surtout par pression communautaire. Aussi incitait-t-il ses petits camarades au jeûne, motif pris qu’ils partagèrent sa complexion et quelques racines communes. Et Mathieu ne s’intéressait qu’à lui-même et ignorait sans doute les notions de bien et de mal. Vous l’aurez compris, Mathieu n’est pas d’agréable compagnie.
Autour de 15 ans, l’Éducation nationale l'envoya vers ce qui ressemblait le plus à son milieu naturel : une filière poubelle d’un lycée « polyvalent ». Là non plus, le garçon ne fut pas à sa place. Trop proche des gens. Trop soumis à la discipline. Et parfois qu'il parvint à l’heure à sa classe, sûrement sous la pression d’une mère autoritaire, cumulant par ailleurs des mandats locaux successifs, il finit par insulter des gens. Un jour, il affubla une fille de sa classe de saillies allègrement antisémites. Imaginez, il est 10h au matin. Le prof’ débute sa classe, pensant finir sa leçon sur la factorisation quand, soudain, un gamin de 15 ans débite des répliques sur la judéité de sa camarade, et questionne son hygiène et joint ces deux propos par une corrélation douteuse ; puis le voilà qu'il invoque le nom d’un trop célèbre chancelier allemand. La fille fond en larmes. Fin du cours. Je ne dis pas que l’injure antisémite est plus grave qu’une autre, mais celui qui reçut une éducation décente sait que l’antisémitisme est une plaie sanglante qu’il ne faut pas trop gratter. Mathieu sera toutefois bienheureux, et doublement bienheureux. Car la temporalité de ses actes échappa de peu à la folie des réseaux sociaux. Il était à ça de se faire lyncher par un vaste parterre d'internautes (ce qui serait bien peu grave) et à subir les courroux des médias et de trente associations subventionnées « contre la haine » (ce qui serait déjà un peu plus pénible). Aussi, du père de la malheureuse, Mathieu évita les foudres, disant : « ce n’est pas grave, on le pardonne, il est jeune ». Autant dire qu’il s’est agi d’une grâce in extremis. Sa grande tête de gland était dans la lunette de la guillotine, lorsque le sénéchal passa un coup de fil au bourgmestre pour s'en rapporter à la charité chrétienne, sans doute trop apitoyé par la larvitude du félon. « Laissons-le partir, il a encore cinquante printemps d’une vie misérable à tirer ». Vous le verrait plus loin, l’avenir donnera à la fois tort et raison à cette intuition. « Heureusement que son père est super sympa » dirent nos camarades. Heureusement, car en 2023, Mathieu M. aurait été condamné dans un délai de trois mois par un tribunal pour enfants par jugement spécialement motivé écartant l’excuse de minorité. Malgré tout, je n’eus jamais à cogner ce bon Mathieu. Bien avant cet incident, nous passâmes, une seule fois, un bon moment lorsqu'invité chez lui, je débloquai pour lui une mission contre laquelle il butait sur GTA San Andreas. Il ne me provoquait pas, car j’avais toujours la menace dans le regard, et que je pesais plus lourd que lui. À ce jour, on sait que le sort lui offrit quelques tourments : un peu de détention. Surprenant ! Or, la dernière fois que je le croisai, il y a plus de dix années, il était une sorte de chef de la sécurité pour une société ferroviaire. Sans doute pistonné par sa mère. Autant dire que jamais rame n’a été aussi exposée au danger.
En définitive, Mathieu est ce que je nommerais, en langue vulgaire, un « ultra-cassos ». Humainement, une poubelle. Ce constat ne souffre d'aucune contradiction, même au sein des âmes les plus charitables. Car aucune excuse ne lui est profitable. Ni son origine sociale, ni son milieu familial. Rien ne plaiderait en sa faveur. Mathieu grandit et vécut en centre-ville dans un pavillon de cinq étages. Sa soeur, seule collatérale, était connue comme sérieuse et discrète, aujourd'hui fort diplômée. Son père, un entrepreneur du bâtiment et un travailleur acharné. Seule sa mère, politicienne arriviste et sans scrupules, peut nous éclairer sur sa personnalité. Car n'en déplaise à J.J Rousseau, il semblerait que Mathieu ait acquis le gêne du mal. Aussi ésotérique paraisse cette explication. Mais il avait tout pour réussir. Mathieu n'a donc aucune excuse. Ce qui nous amène enfin à nous demander s'il existe un Mathieu dans chaque classe. Existe-t-il dans chaque école une espèce de démon qui vous gâche votre expérience (contrainte) d'usager du service public ? Doit-on, dès le plus jeune âge et de façon inéluctable, se confronter à la pourriture de l'humain ? Très tôt, je tentais de raisonner. Le monde de l'enseignement primaire semblait être un avant-goût de la vie d'adultes, ou de la vie en société. Un microcosme. Un microcosme qui peut vous porter aux nues à la faveur d'un parcours scolaire sans tâche ; ou vous faire sombrer à la faveur d'une suite d'échecs. C'est quitte ou double. Puis c'est en entrant à l'université, monde affable et foisonnant, que je compris que je tirai le mauvais numéro.
Ainsi doit-on, parfois, ne pas pêcher par excès de bonté et laisser la guillotine faire son oeuvre.
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