Écrire la chanson parfaite
Comment écrire une chanson faite de la matière des étoiles ?
J'appelle chanson sublime celle que l'on retient sans effort, et entièrement. Pas seulement le refrain. Cette considération n'est jamais que subjective, mais la chanson parfaitement géniale, ou génialement parfaite, est une oeuvre du coeur, elle reflète un état d'âme traduit par le verbe ; ou bien elle raconte tout juste une histoire alliant remarquablement densité et simplicité.
Pour ce qui va suivre, on risque à tort de déceler une certaine anglomanie. Car certes, les titres qui m'épatent viennent essentiellement d'outre-Atlantique et d'outre-Manche.
Et ce, pour deux raisons.
La première raison est qu'un pur talent artistique a été façonné en ces terres, notamment, par un certain brassage de cultures, dont les causes sont bien évidemment tragiques, et qui mêle la rythmique et la puissance africaines à la sensibilité et au romantisme européen. Le cantateur vous courtise alors en vous offrant son verbe le plus mûr.
L'Anglo-saxon est aussi un imbattable dramaturge avec l'étonnante faculté d'en dire le plus possible avec un minimum de mots...
...Ce qui nous amène à la deuxième raison de ma préférence pour la musique anglaise : sa phonologie. Avec 25 consonnes et 18 voyelles, la langue anglaise dispose de 14 sonorités qui n'existent pas en français. Nous, nous n'avons "que" 20 consonnes et 6 voyelles. C'est ainsi que les Anglo-saxons compensent une certaine pauvreté du vocabulaire. Et les chansons qui suivent témoignent de l'héritage du proto-germanique avec son lot de consonnes occlusives qui "claquent". L'excellent chanteur étant celui qui est maitre de sa bouche, de son larynx et de sa glotte. Il a une grande capacité à lancer sa consonne avant d'allonger une voyelle et de la vocaliser avec force et puissance.
Donc, par la grâce des mots, les textes suivants portent en eux le rythme, l'harmonie et la mélodie, si bien que pour éblouir toute autre musique serait superflue.
"Love Potion No. 9" par The Coasters (1971)
Écrite par Jerry Leiber et Mike Stoller
I took my troubles down to Madame Ruth
You know that gypsy with the gold-capped tooth
She's got a pad down on Thirty-Fourth and Vine
Selling little bottles of love potion number nine
I told her that I was a flop with chicks
I've been this way since 1956
She looked at my palm and she made a magic sign
She said, "What you need is love potion number nine"
She bent down and turned around and gave me a wink
She said, "I'm gonna make it up right here in the sink"
It smelled like turpentine, it looked like Indian ink
I held my nose, I closed my eyes, I took a drink
I didn't know if it was day or night
I started kissing everything in sight
But when I kissed a cop down on Thirty-Fourth and Vine
He broke my little bottle of love potion number nine
I held my nose, I closed my eyes, I took a drink
I didn't know if it was day or night
I started kissing everything in sight
But when I kissed a cop down on Thirty-Fourth and Vine
He broke my little bottle of love potion number nine
Love potion number nine
Love potion number nine
Love potion number nine
Mesdames et Messieurs, voici la chanson la plus parfaite. C'est une charmante histoire contée en des termes simples et mélodieux. Ce phrasé porte le rythme lent, puis rapide et vice versa. Les groupes verbaux sont parfois longs et toffus, parfois courts mais nerveusement enchainés, tout ceci pour narrer un fait de l'intrigue à chaque ligne. La tête de la gitaine, l'odeur de la mixture... Le détail donne toute sa coloration poétique à ce titre. On ressent tout le désarroi du protagoniste au début, et à la fin sa désillusion. Puis la morale finale de cette anti-fable consacre cette chanson au rang des miracles musicaux.
"Space Oddity" par David Bowie (1969)
Écrite par David Bowie
Ground Control to Major Tom
Ground Control to Major Tom
Take your protein pills and put your helmet on
Ground Control to Major Tom (ten, nine, eight, seven, six)
Commencing countdown, engines on (five, four, three)
Check ignition and may God's love be with you (two, one, liftoff)
This is Ground Control to Major Tom
You've really made the grade
And the papers want to know whose shirts you wear
Now it's time to leave the capsule if you dare
"This is Major Tom to Ground Control
I'm stepping through the door
And I'm floating in a most peculiar way
And the stars look very different today
For here
Am I sitting in a tin can
Far above the world
Planet Earth is blue
And there's nothing I can do
Though I'm past one hundred thousand miles
I'm feeling very still
And I think my spaceship knows which way to go
Tell my wife I love her very much she knows
Ground Control to Major Tom
Your circuit's dead, there's something wrong
Can you hear me, Major Tom?
Can you hear me, Major Tom?
Can you hear me, Major Tom?
Can you "Here am I floating 'round my tin can
Far above the moon
Planet Earth is blue
And there's nothing I can do
Un spationaute solitaire trouve refuge dans l'espace. Il y est bien. Il est prêt à tout quitter pour découvrir ce que l'univers a à lui montrer. Comme Major Tom, si nous voyions la Terre avec une telle perspective, comment réagirions-nous ? On se laisserait peut-être porter par l'infini, la plénitude, la douceur du silence... "May God's love be with you" lui dit le centre de contrôle. Alors Major Tom l'aurait-Il aperçu ? Le héros ne craint pas la plus pure des obscurités. L'éternité lui tend les bras, et il l'embrasse. En fait, cette chanson symbolise tout Bowie : le mystère, la créativité, l'intemporel. Et s'il est à présent connu comme un monument et une force culturelle à lui seul, ce n'est que justice.
"Once I Had a Love (aka The Disco Song)" par Blondie (1975)
Écrite par Debbie Harry et Chris Stein
Once I had a love and it was a gas,
soon turned out to be a thing of the past
Seemed like the real thing, only to find
Mucho mistrust, love's gone behind
Once I had a love and it was divine
Soon found out I was losing my mind
It seemed like the real thing but I was so blind
Mucho mistrust, love's gone behind
In between
What I find is pleasing and I'm feeling fine
Love is so confusing there's no peace of mind
If I fear I'm losing you it's just no good
You teasing like you do
Once I had a love and it was a gas
Soon turned out had a heart of glass
Seemed like the real thing, only to find
Mucho mistrust, love's gone behind
Once I had a love and it was divine
Soon found out I was losing my mind
It seemed like the real thing but I was so blind
Mucho mistrust, love's gone behind
Lost inside
Adorable illusion and I cannot hide
I'm the one you're using, please don't push me aside
We coulda made it cruising, yeah
Yeah, riding high on love's true bluish light
Once I had a love and it was a gas
Soon turned out to be a pain in the ass
Seemed like the real thing only to find
Mucho mistrust, love's gone behind
Chaque ligne est joliment ciselée pour exprimer l'étonnement, la confusion et la déception, et la voix de Debra Harris, angélique, charmante, chagrinée, colérique, en sublime chaque lettre. Admettons d'abord que c'est la chanteuse qui est de loin la plus agréable à regarder, toutes générations confondues. Et à la voir, elle inspire toutes les dispositions du coeur sensible, dont la vulnérabilité et la candeur qui frappent l'amoureux. Oui, le sentiment d'être transi est comme un gaz hilarant, qui serait plutôt délirant. L'esprit monte très haut dans l'euphorie avant de redescendre sur le sol dur de la conscience d'être aveuglé et manipulé par le désir. C'est "Adorable illusion" nous dit l'auteure et interprète, non sans un certain génie littéraire. Et dire que cette version aurait pu passer à la trappe... Le groupe Blondie, versant en premier lieu dans le Rock New Wave, s'était fait lyncher par les siens pour son énorme succès avec Heart of Glass, chanson très connotée "Disco", genre commercial par excellence. Raison pour laquelle la parenthèse accolée au titre "Once I Had a Love", sorti en 2001, ironise à ce sujet.
"Pic et pic, alcool et drame" par Jul (2021)
Écrite par Jul
Pic et pic, alcool et drame
Bourré bourré, j'fume et j'plane
J'zone et j'zone et j'check des fans
Haine et peine sous les Ray-Ban
J'fais le bangé sous les étoiles
J'bois vodka mais j'suis sous les toits
Il m'pensait mort, je l'ai laissé croire
Oh, oh
Que tu chantonnes, oh, que tu chantonnes
T'as voulu me la faire, ça t'a fait une méchante ombre
Moi j'suis franc donc j'fais des euros
Tous les deux mois, j'change de numéro
J'ai l'cœur blanc, je fais pas les héros
J'ai rempli l'compte, j'suis parti de zéro
On m'a dit : « Ne nique pas les gens
La roue, elle tourne plus vite qu'une RS »
Ils sont gentils, ils m'font les méchants
On répond pas même quand ils veulent teste
Dans l'rétro j'vois des disques d'or
Des disques de platine et de diamant
Ça me critique pendant que j'dors
J'ai changé de voiture récemment
Pic et pic alcool et drame
Bourré bourré, j'fume et j'plane
J'zone et j'zone et j'check des fans
Haine et peine sous les Ray-Ban
J'fais le bangé sous les étoiles
J'bois vodka mais j'suis sous les toits
Il m'pensait mort, je l'ai laissé croire
Oh, oh
Dans ma paranoïa, mais bon on m'dit : « C'est rien, y a tchi »
Ma miss elle s'en fout à mort de faire le shopping à Paradis
Elle veut que tu sois son pote mais toi tu veux qu'ça soit ta gadji
Avant de faire un môme, écoute bien ce que mama dit
Ça écoute du Puff Daddy, un peu de nostalgie, ouais
Trop d'causes tragiques, ouais, trop d'gosses s'agitent, ouais
J'bois d'la vo-vo, j'fume du shit, ouais mais la coca, ça, non
T'as fait des délits de mahboul, mais c'était un scooter à ton nom
J'pourrais faire disque de rubis même posé dans une tente Quechua
Si seulement t'étais à ma place, j'peux te dire qu'ils sont durs mes choix
Y s'moquaient, me jetaient des pierres, j'ai bâti mon avenir avec
Tu m'appelles quand t'es en galère, j'crois que tu m'as pris pour ta navette
Pic et pic alcool et drame
Bourré bourré, j'fume et j'plane
J'zone et j'zone et j'check des fans
Haine et peine sous les Ray-Ban
J'fais le bangé sous les étoiles
J'bois vodka mais j'suis sous les toits
Il m'pensait mort, je l'ai laissé croire
Oh, oh
Dans ma paranoïa, mais bon on m'dit : « C'est rien, y a tchi »
Ma miss elle s'en fout à mort de faire le shopping à Paradis
Elle veut que tu sois son pote mais toi tu veux qu'ça soit ta gadji
Avant de faire un môme, écoute bien ce que mama dit
Dans ma paranoïa, dans ma paranoïa
Dans ma paranoïa, mais bon on m'dit : « C'est rien, y a tchi »
Ma miss, elle s'en fout à mort de faire le shopping à Paradis
Pic et pic, alcool et drame
Bourré bourré, j'fume et j'plane
J'zone et j'zone et j'check des fans
Haine et peine sous les Ray-Ban
J'fais le bangé sous les étoiles
J'bois vodka mais j'suis sous les toits
Il m'pensait mort, je l'ai laissé croire
Oh, oh
Pic et pic, alcool et drame
Bourré bourré, j'fume et j'plane
J'zone et j'zone et j'check des fans
Haine et peine sous les Ray-Ban
J'fais le bangé sous les étoiles
J'bois vodka mais j'suis sous les toits
Il m'pensait mort, je l'ai laissé croire
Oh, oh
Concision, clarté, virtuosité. Jul est un véritable maitre de la langue française. Dans la droite lignée de Rabelais, il saisit le verbe, le taille, le façonne, le caresse et rend honneur à ses illustres ainés, Corneille, Racine et Baumarchais. La redondance ? Jul ne connait point. Ses traits aux allures de redites nous martèlent la douleur inextinguible d'une génération désoeuvrée qu'elle tente désespérément d'éteindre. Mais aurions-nous l'idée de reprocher à Baudelaire, Freud et Dali leur goût pour les narcotiques ? Seule compte l'oeuvre définitive, dès lors qu'elle est éligible à la postérité. Et nul doute. Jul est un grand parmi les grands. En 2021, le génie marseillais culmine au pinacle de la culture française et ne demande qu'à trôner au Panthéon. En définitive, Jul est le porte-étendard d'un âge d'or musical qui semble épargné par la finitude.
Je ne connais que Major Tom parmi cette petite liste, mais comme je m'y retrouve ! Dans la chanson comme dans votre analyse.
RépondreSupprimerIl m'arrive de la voir comme le jeu d'un enfant, qui invente les aventures de son Major Tom en plastique, rêvant à explorer l'univers et à devenir un héros plus tard... projet qu'il oubliera en grandissant.
Content que l’on se rejoigne ! Je pense que Bowie était complètement féru d’astronomie, car à mon sens il était trop génial et pas tellement chaud pour vivre avec les humains. En ce sens, « Life on Mars? » notamment. J’en veux pour preuve la presse de l’époque qui, pour Space Oddity, s’était arrêtée à un parallèle avec la prise de psychotropes... Et c’est drôle de constater que, un peu à la manière du prophète, Bowie semble mettre dans cette chanson une petite cartouche à une presse peu subtile et curieuse avec son « Papers want to know the shirt you wear ». Mais la promo de Space Oddity n’était pas non plus subtile, puisqu’un court-métrage faisait référence à un ménage à 3... Bowie savait pertinemment ce qui faisait vendre ! En fait, je pense qu’on est tous des explorateurs à notre façon, dès lors que l’inconnu nous intrigue et que l’on est partants pour traverser les ténèbres. Bref, ravi de vous avoir fait connaitre ces 3 pépites ! N’en sélectionner que trois était difficile.
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