Histoire vraie d’un moment soudain de découragement
Un jour quelconque d’automne, serré par ma cravate et par ma chemise, je me trouvai assis sur une table d’écolier. Me voici rajeuni de vingt ans.
Il était 13h.
L’examen de plaidoirie devait commencer. Je compris qu’une chose était certaine : l’été était terminé. Les coups de foudre n’ont désormais cours qu’aux intestins ; et le souffle court ne fût plus causé par des ébats - mais par la crainte d’une épreuve à laquelle personne n’est vraiment préparé, s’agissant d’examiner un dossier en trois heures et de le plaider ensuite.
13h01.
Le maigre discernement qui était le mien tentait d’imaginer tous les scénarios possibles. Mon instinct s’efforçait de visualiser le jury et ma posture face à eux. Allais-je rédiger tout mon discours, au risque de livrer une lecture sans âme ? Ou me risquerais-je à improviser, quitte à graillonner des blancs hésitants ?
13h02.
Docilement assis, je contemplai le rouge dominant de la salle d’enseignement (la couleur de notre sang que boira l’institution ?).
13h03.
Le coeur battait trop fort, comme si mes organes, las de mes choix désastreux, voulurent trouver un hôte que le confort répugne moins.
13h05.
Après quelques exercices de respiration de la méditation pour sédentaires en détresse, je parvins à réguler ma tension… jusqu’à ce que le directeur apparaisse.
L’air enjoué, il sembla se délecter de nos langueurs anxieuses. Tout sourire, il crût bon de faire ce qu'il aurait dû faire trois mois plus tôt : nous expliquer ce en quoi consistera l'examen.
13h06.
Pour l’auditoire, s’ensuivit une ribambelle de questions idiotes sur les fondamentaux de la prise de parole. Puis, après un rappel pénible des petites formules de politesse, vînt le point d’orgue : une diatribe contre le délit de prononcer le son "euh", que certains membres du jury s'amuseraient à compter.
13h09.
Les secondes sont comme des heures, et le représentant d'une des formations les plus sinistrées au monde ne faillit point à sa réputation. Chaque mot qu'il prononça me donnait un peu plus l’impression que ma cravate se serrait.
13h11.
Nouvelle tentative de dialogue avec l’auditoire, cette fois sur un sujet singulier et auquel personne ne voulût prendre part. "Qu'est-ce qu'être avocat ?". De plus belle, s’ensuivit un soliloque sur les charmes discrets de la vénalité et les vertus secrètes de la servitude ; dont le texte retranscrit eut été intitulé « De l'importance de soumettre sa force de travail à un patron ; ou le guide du parfait laquais ».
13h11 et 44 secondes.
Je fus pris de palpitations à l'idée que mon entrée dans la profession se limita à l'insigne honneur de masser le dos d'un patron. D'un mouvement presque involontaire, mes deux mains se joignirent alors à mon visage, et mes paumes glissèrent lentement sur mes joues. Qu'importe que l'orateur fût indisposé par ce facepalm doublé, je ne pouvais contenir aucune réaction physique à la médiocrité. Mon coeur et mes poumons étaient comme strangulés ; un véritable démon s'était emparé de moi ; incertain que la divinité Pazuzu m'invitât à prendre le thé, ou tout simplement à me lever, à sortir de la salle et à courir jusqu'à l'épuisement pour fuir un destin funeste.
Dès lors, deux minutes s’écoulèrent, celles durant lesquelles je fus tiraillé par deux idées puissantes et parfaitement contraires : ne point commettre l’irréparable et ne pas mettre à mal sept années d’études ; et devenir… acteur. Deux minutes durant lesquelles je voulus m’épargner de devenir un ignoble gratte-papier à la créativité d’une palourde septentrionale. Guère envie de trimer comme un malpropre sédévacantiste pour un salaire minimal, ni tapiner pour nourrir une fiscalité confiscatoire. Loin s’en faut. Je souhaitai être acteur, vivre mille vies, me gorger de classiques, vivre de belles-lettres, émerveiller un auditoire, me nourrir de ses rires et de ses ovations. Je désirai vivre la folie d'Hamlet, la colère de Marc Antoine et la passion transie de Roméo. Quel pouvoir plus divin que de créer l'émoi ? Quelle force plus grande que de convaincre que l'on est un autre ? Alors, je voulus être un héros antique, un traitre tragique, un buisson feuillu et une tomate salée. Il me fallut présentement le don créateur des dieux et dans un élan démiurgique me faire une profession d'ordonner dans l'air chaque atome des passions humaines. Tel est le voeu de celui qui veut être libre et heureux au réveil et atteindre son entier potentiel.
13h16.
L'individu enfin se tût et l'épreuve pût débuter.
En étudiant le dossier, je compris que la profession était plus vaste que la mégalomanie de quelques-uns. Le sacerdoce de la loi consiste à empoigner chaque mot, le soupeser et en discuter la valeur. Porter une robe noire avec une petite fourrure blanche, en plus d’une mode ne souffrant l'outrage du temps, inspire le respect de celles et ceux qui possèdent la réalité du pouvoir démocratique, sans pourtant en jouir. Ces personnes sont les magistrats. Alors je compris enfin que ce privilège valut bien ces années à bûcher comme un forçat sur des concepts parfois abscons.
14h32.
Heure du passage devant le jury. Enfilage d'une robe sans rabat (sorte de grosse cravate rectangulaire blanche fixée au col pour descendre au milieu du torse - merci l'école). Plaidoirie lue. Jouer la sécurité.
Mon dégoût des contraintes et mon goût de la liberté profitent désormais à mes clients.
Moralité : Du découragement naît la révolte. À condition d’avoir un égo monumental et de l'assumer.
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