La juge la plus dure de France

"Si tu tombes sur elle, mieux vaut demander le renvoi", ainsi donné le conseil du confrère.

Qui est donc cette magistrate que les avocats honnissent ? L'hydre de Lerne ? Le dragon de Thèbes ? Le Cyclope ? Le Géant des bois de cèdre ?

La Juge en question est réputée pour distribuer des peines de prison ferme, comme le témoin distribue des dragées lors d'un mariage.

Toutefois, aussi estimés soient ces confrères, il est inconcevable pour moi de demander le "renvoi" pour chacun de mes comparaissants. Ce serait lâcheté extrême-centriste que de les exposer à la détention provisoire, laquelle est trop souvent prononcée au motif que ceux-ci "seraient susceptibles de se soustraire à la justice".

Bref, ici on est digne, on ne vote pas Bayrou, et on va affronter la bête.

Au cri de l'huissier "LE TRIBUNAL, LEVEZ-VOUS", s'ouvrent de grandes portes de château. Puis s'avancent trois juges, dont une dame qui a manifestement dépassé l'âge de la retraite d'au moins deux décennies. Son teint blême révèle qu'elle n'a pas poussé dans la région la plus ensoleillée de France, et sa face est pleine d'angles obtus, moins des traits que des cisailles.

Tournée vers un prévenu aussi effrayé qu'un renard surpris par un véhicule en plein-phares, la magistrate interroge, durement, et provoque bafouilles et confusions ; elle s'énerve quand on lui fait répéter la question ; elle invective même un membre du public qui fond en sanglots. Elle tient son audience d'une main d'acier. Elle ne préside pas, elle règne. Autour de l’avocat de la défense de se faire entendre. Elle écoute attentivement, mais tourne parfois la tête vers le public pour s'assurer que tout le monde se tienne droit. Elle ne prend aucune note, et laisse le soin à ses assesseurs de jouer les scribes. Elle boit toutefois les paroles de la défense. À dire vrai,  envers la défense, il n'y a aucune malveillance ; tandis que les assesseurs à ses côtés, un peu moins matures, ont des visages grimaçant ne dissimulant aucune hostilité envers le plaideur. Mais la présidente a une voie prépondérante, et l'avocat ne doit pas ignorer qu'en lui parlant, il parle à l'humain le mieux ordonné et le plus rigide de l’univers, bien qu'il soit possible de lui arracher un sourire par un trait sarcastique. Donc la plaidoirie doit être brève, directe et évoquer les faits, la personnalité du mis en cause et la peine que l'on propose (idéalement, pas la prison). Ne sont alors tolérés ni désordre ni redondance, sous peine d'être vu comme un anarchiste promouvant un modèle de société qui consisterait à vivre dans ses déjections. 

Cela va sans dire, mais l'intelligence veut qu'il soit nécessaire de connaitre son juge, ses attentes et ses exigences. Et ce que les juges apprécient plus qu’un dessert gratuit à la cafétéria de la Cour d’appel, c'est la brièveté et la déférence. Autrement dit, il convient de s'adresser à un magistrat avec l'obséquiosité du vassal qui s'adresse à son suzerain, mais aussi, et parfois, avec l'insolence du fou qui tance son roi. Et quand l'avocat finit de rétorquer, retentit d’emblée : "- le tribunal se retire pour délibérer" "-"LEVEZ-VOUS". La loi et l'ordre. 

Cinq minutes plus tard, le tribunal revient. Petit moment de flottement. Il s'agit alors de se tenir droit, de s'approcher du client et de se faire paratonnerre. Et pour un résultat favorable, l'on se met à prier tous les dieux que l'on connait. Puis la présidente dit : "- Monsieur, le tribunal vous condamne à 8 mois d'emprisonnement avec mandat de dépôt, autrement dit, vous êtes immédiatement transféré en maison d'arrêt". 

Voici le verdict. 

Face à cette juge, le prévenu qui a déjà été condamné a autant de chance de ressortir libre du tribunal qu’une femme déflorée en a de se marier en Iran. Et malheur à celui qui n'a aucune activité salariée, ni lieu de résidence fixe. Aussi cette magistrate promeut-elle les vertus secrètes de l'incarcération, s'imaginant peut-être qu'on y façonne des Gandhi, des Nelson Mandela ou des Stanley Tookie. Alors le seul moyen de soutirer une décision libérale de l'hydre des prétoires est de maitriser son droit et de discuter ce qui est discutable ; et éventuellement d'invoquer la jeunesse du prévenu, surtout s'il entre tout juste dans l’âge nubile, car un magistrat est généralement conscient qu'un peine de prison ferme à un jeune âge peut briser une vie.

Néanmoins, bien qu'elle prononce des peines qui excèdent souvent celles requises par le procureur, elle ne condamne que rarement au maximum de la peine encourue. (Exemple : elle peut prononcer 6 mois ferme, alors que le code pénal prévoit que l'infraction est punissable de 2 années de prison).

En somme, cette juge incarne une justice sèche et implacable. Sa salle d'audience est à l'image de la société idéale. Une société du calme, de l'ordre, dans laquelle chacun s'écoute et parle l'un après l'autre. Une société où le contrevenant se tient debout et répond de ses actes. Et la salle d'audience est effectivement un échantillon de notre civilisation. Car l'avocat qui a la parole, et qui se tourne parfois vers la foule pendant sa litanie, ressent souvent le mépris que suscite le prévenu. Et il n'est pas rare que les masses clament "à quoi bon perdre du temps avec un procès, on sait que c'est lui qui l'a fait..." ; ou le symptôme d'une époque qui a la réflexion en aversion et pour laquelle se concentrer quinze minutes sur un sujet complexe est déjà une torture.

Alors aussi dure soit-elle, cette magistrate est le dernier rempart contre la folie ambiante. Il convenait donc de lui rendre cet hommage lui témoignant de toute mon admiration avocatienne, avec la simple doléance qu'elle demeure cohérente et traite chaque justiciable avec une égale fermeté.






 




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