La petite destinée du peuple du sol ; ou l'envie inconsciente de disparaitre de la mémoire universelle
Archive rare d'un cours magistral d'anthropologie astronomique sur une planète urbaine de la Galaxie d'Andromède (à ne pas confondre avec Andromaque), 30277 années après la naissance de leur Massiah.
Discussion entre un étudiant et son professeur.
L'étudiant :
- "Doyen, notre galaxie mesure 100 000 années-lumière de diamètre et la galaxie la plus proche est celle de la Voie lactée qui se trouve à plus 2,5 milliards d'années-lumière. Il faudrait 100 000 ans pour la rejoindre. J'y voyais là comme la volonté de Dieu que des espèces intelligentes et différentes ne se rencontrent jamais. Malgré tout, la Voie lactée nous a envoyé tout son savoir dans une petite cassette enfermée dans une sorte bouteille à réacteurs.
Il apparait que nos peaux sont différentes, nos coutumes aussi ; nous sommes moralement plus débridés et nous trouvons leurs femmes attirantes. N’est-ce pas signe de cruauté divine que nous ayons à nous connaître sans jamais pouvoir nous rencontrer ? C'est parce que nous sommes des êtres égoïstes que l'Univers a voulu nous séparer ? La destruction mutuelle est-elle inéluctable ? J'ai l'impression que le Tout se fait une piètre opinion des vivants qu'il a engendré. N'existera-t-il jamais de concorde universelle ? Une voie médiane de la prospérité, entre l'envie de massacrer le clan voisin et le désir de confort ?
Le professeur :
- "Cher Monsieur, vous posez une question qui dépasse légèrement le cadre de mes compétences. Vous abordez des points de philosophie, voire de théologie ; mais je vais vous répondre en anthropologue, vous ne m'en voudrez pas (rires).
La Voie lactée est fascinante. Vous avez des peuples qui dans le désert érigent des cônes que l'on peut voir depuis l'espace ; ils bâtissent des tours en acier pour montrer leur génie dans le travail de la matière, et produisent des fictions qui changent des vies, comme celle du schizophrène qui monte un club de bagarre (mais dont ne peut pas trop parler !).
Vous avez aussi dans ce coin de la galaxie d’étonnants spécimens. Et je peux vous dire que ceux-là, vous ne voudriez pas les rencontrer...
De mes recherches il ressort qu’entre l’aride et le relief, il est un peuple tout de guenilles vêtu. Trop assurés d'eux-mêmes, ils sont peu conscients de leur petitesse. C'est tout le propre du spécimen qui entretient pour lui-même une passion démesurée. Or, son amour propre est aussi déraisonnable que celui de l'invertébré qui se croirait divin. Il entretient beaucoup d'ambitions et d'exigences pour les autres, mais très peu pour lui-même. Leur sol est riche et leurs paysages sont plein d'attraits, mais leur misanthropie les éloignent du monde. C'est un peuple velléitaire et captif de quelques vieux hommes incontinents et grabataires. L'amour qu'ils ont pour leur drapeau veut tromper le sentiment de désamour qu'ils ont pour eux-mêmes. Orgueilleux et belliqueux, c'est le rêve matérialiste, d'artiste mineur ou de courtisans de palais qu'ils entretiennent. Jouir, posséder et susciter la jalousie… et rien d'autre. Ils sont obsédés par le "qu'en dira-t-on", alors que toute espèce évoluée s'inquiète davantage de "comment dois-je devenir meilleur pour les autres et pour moi-même ?". Vous l'avez donc compris, penser bas et ne penser qu'à soi, c'est être coureur sans pied, jongleur sans main, despote sans langue.
L'étudiant :
- "Et pour quelles raisons sont-ils si agressifs ? J'ai lu qu'ils étaient très prompts à insulter la génitrice de toute personne qui les offenserait, et copieusement..."
Le professeur :
- "On en revient à leur misanthropie. Ils ont un tel mépris d'eux-mêmes et de leur humanité qu'ils se sentent forcés de prononcer les pires injures. Ils manquent de lettres, et refuse la lettre. Seule l'impulsion compte. Ils ont perdu tout goût pour le sacré. Ainsi ont-il du mépris jusqu'au concept de matrice, pris au sens étymologique du mot. À cause de leur incapacité à apprécier les étoiles, ils haïssent l'existence, et à plus forte raison celle qui l'enfanta.
L'étudiant :
- "Je me permets une autre question : ils sont aussi enclin à altérer leur discernement en consommant des substances toxiques. Pourquoi renoncer à la lucidité ? Pourquoi s'empoisonner ?
Le professeur :
- "Je me répète un peu, mais on en revient encore à la haine de soi. C'est leur propension à la fuite. Le réel les dépasse. Ils ne sont pas armés pour l'affronter. Trop impatients et paresseux. Malheureusement, aucun standard de valeurs, ni éducation morale ne leur ont été transmis. Soit trop choyés par leurs parents ; soit pas assez, personne ne leur a révélé l'importance de s'adapter à son environnement. Comble de cela, alors que la nature incite à survivre, donc à s'adapter, ceux-là s'atrophient volontairement. Sans cesse ils font le choix de l'oisiveté, plutôt que du travail.
Cette espèce est donc plus basse que terre, et ne voulant toucher les étoiles, elle est condamnée à rester au sol. Elle pourrait même creuser, mais même pour cela elle est bien trop paresseuse...
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