Joies et délicatesses de la Cour d'assises ; ou les cinq journées d'un procès pour vol aggravé
Vous serez soufflés par ce récit.
Pour certains, la Cour d'assises est une machine à "broyer les pauvres".
Mais pas du tout !
Tout procès est une fête, la célébration du droit et de la dignité humaine, lors duquel les parties se comportent entre-elles avec courtoisie et délicatesse.
Illustration.
Jour n° 1 - Vous êtes défendeur d'un des accusés et vous allez à la rencontre du camp adverse
Vous avez le dossier et votre stratégie en tête.
Il s'agit de demander l'acquittement.
L'accusé l’est en raison d’un cambriolage violent (coups, ligotage...). Il est accablé pour ce motif avec deux autres personnes.
Vous savez que les victimes de ces faits odieux sont fortunées et représentées par un ténor d'un barreau d'une grande ville, et par un autre avocat un peu moins fameux.
Vous arrivez en salle d'audience. Le chauffage est trop présent et la lumière très froide. L'heure est aux présentations. Courtoisie first.
Le ténor daigne vous saluer élégamment, mais l'avocat un peu moins fameux vous gratifie à peine d'un bonjour ; et mieux encore, vous interroge d'emblée sur les autres déboires judiciaires que votre client connait en marge de ce procès.
Prudent, vous feignez de ne pas savoir, quitte à passer pour un crétin, ce qui irrite profondément l'avocat peu fameux (ci-après nommée "elle"). Et elle vous en tiendra rigueur pendant toute l'audience.
Sans être psychiatre, vous décelez alors rapidement quelques traits sociopathiques. Dont acte. Les grands urbains fortunés sont souvent antipathiques. Peu surpris. Tout de même déçu.
Puis la séance débute sans grande surprise avec une présentation du dossier par le président et par des questions au gendarme qui fut responsable de l'enquête. Puis un début de véhémence du conseil des victimes se manifeste ("pourquoi untel n'a pas été interpellé ?" ; "pensez-vous qu'untel est dangereux...").
Pour décrire ce comportement, certains parleront de passion ou de "caractère bien trempé". D'autres diront qu'il s'agit seulement d'accaparer la parole au procès et de justifier ses honoraires.
Jour n° 2 - L'examen de personnalités des accusés ; ou la douceur d'une justice qui s'intéresse au passé et au présent de l'accusé
Les questions du premier des juges sont fort aimables. Elles abordent la situation familiale, l’état de santé et le curriculum des accusés. On apprend que certains sont des « papys gateaux » pour être « pleinement investis dans leur de parents ».
On aborde aussi leur passé judiciaire, tentant de déceler certaines tendances : « alors Monsieur, vous avez été souvent condamné pour vol, quoique là on voit une mention pour exhibition sexuelle avec violence. Peut-on dire que vous venez avec votre bite et votre couteau ? ». Bien sûr, le président n’a pas osé faire cette blague, au demeurant excellente.
Relevons à ce stade que le casier condamne déjà votre accusé. C’est même un « super indice » permettant de colmater les brèches d’un dossier qui ne serait pas suffisamment à charge. Aussi s’agirait-il de durcir un portrait que dressent les assistants sociaux qui ont réalisé l’enquête de personnalité. Ces assistants, trop mous, trop influençables (peut-être), sont-ils si fiables ? L’adorable enquêtrice qui est venue à la barre symbolise à elle seule ce préjugé. Mais à qui la faute si ceux qui aiment faire ce travail ressemblent à des Kirby ?
Bienvenue dans la justice criminelle.
Jour n° 3 - L'examen des faits ou la grande valse de « l’interrogatoire au fond »
Bon, on commence sérieusement à avoir mal au fiak. On est mal assis. Puis fin, on n’en peut plus de suer des boules dans une pièce chauffée à 25 degrés, alors qu’on a 1,2 kg du fleuron de l’artisanat costumier sur le dos, ou le modèle Prestige des robes d’avocat façonné par l’excellente Maison Bosc. Et c’est bien ce mélange de laine et fourrure (de lapin véritable) que verra surtout votre client pendant toute la durée des festivités, puisque le banc de la défense tourne le dos au box.
Votre client fait face aux parties civiles (les victimes), et montre son 3/4 d’existence à la Cour. Et pendant les débats, le mec réagit à peine, sauf quand ses co-accusés mentionnent son nom. Par peur d’être accablé ? Par rancoeur d’avoir été impliqué ? On n'en saura jamais rien, et faites tout de suite votre deuil de la vérité.
Les accusés se font alors soigneusement cuisiner pendant 3 heures par les juges.
En temps normal, on reprendrait les faits depuis le début pour comprendre le déroulé des faits : le repérage, l’interception de la victime et son enlèvement, son passage à tabac, la levée de sa séquestration… Mais semi-coup de théâtre : deux des trois accusés souhaitent faire des aveux « spontanés ».
Ils ont voulu avouer, qu'un jour, ils ont été invités à prendre café par un sinistre individu à pseudonyme pour leur proposer un « travail » : celui d'intercepter quelqu’un sur la route contre 5 000 euros.
Ce quelqu’un était malheureusement une femme, qui plus était atteinte d’un cancer et à tête d’une certaine fortune.
Mais aucun de ceux qui ont fait téchouva n’ont reconnu avoir commis de violences, y compris lorsque la victime a été raccompagnée à son foyer apeuré, au plus sombre de la soirée, pour y être battue. Et des violences, les comparaissants n’auraient rien vu, ni entendu (Non, ça ne ressemble pas du tout à une « version d’avocat » ! Bien sûr que non !).
Vous avez l'esprit fin, et vous notez que cette version est peut-être bien pire qu’un mensonge, puisque qu'elle s'apparente à un « aveu partiel », un propos qui omet l’essentiel. Un propos manifestement pesé, mesuré et calculé pour éviter une lourde condamnation, celle à la peine maximale encourue (de 20 ans à la perpétuité pour certains). Qu'à cela ne tienne, la Cour ne peut y voir qu'une stratégie désespérée avec tout ce qu’elle peut avoir de frustrant pour la Justice et pour la victime.
Pas de complaisance pour les pauvres, vous dit-on.
Jour n° 4 - La parole aux victimes : entre interrogations et inquisition
Un planning d’audience est toujours finalement établi, et il n’est pas anodin que la victime prenne la parole quasiment en fin de fête.
Nous avons alors droit à une longue lecture du rapport de l’expertise psychologique par le président, et celui d'un rapport de personnalité très détaillé.
Puisque chaque préjudice est réparable en argent, ll faut qualifier chacun d’entre-eux. Dont le préjudice sexuel. Tout cela en audience publique. On s’épargnera les détails. Quant aux conseils des victimes, fidèles à eux-mêmes, ils font un travail à la fois acharné et dérisoire. C’est très étrange à voir. C'est l'art d'agir de façon superflue.
Ils fouillent dans les passés, font des raccourcis, spéculent sur les culpabilités, et tentent (et je dis bien tentent) de prendre l’ascendant intellectuel sur des gens qui ont au maximum 150 mots de vocabulaire. Mais quel ascendant il peut y avoir avec des répliques dignes d'un épisode de Julie Lescaut : "Vous traitez votre co-accusé de commis, alors c’est vous le chef, donc vous êtes coupables ?" ; "Le droit français vous autorise à mentir, mais pourquoi mentez-vous ?" ; "Vous exercez votre droit au silence en garde à vue, n'est-ce pas un procédé de grand bandit ?". C'est infernal. Ici, le conseil de la victime se permet des choses que même un magistrat accusateur ne se permettrait de faire, comme reprocher à quelqu'un d'exercer un droit fondamental. C'est extrêmement irritant et vous répliquer spontanément à cette personne son hypocrisie, en ce qu'il est étonnant qu'un pénaliste, défenseur des libertés et gardien de la présomption d'innocence, tienne ce discours.
Vous devez affronter les grands narcissiques qui veulent justifier leurs honoraires excessifs devant le client, ce qui donne un spectacle intellectuellement creux et navrant. Et si tant est que vous les interrompiez, ou que vous vous moquez d’eux (comme la situation l'impose), un échange vif s’ensuit sous le regard plein de délectation des magistrats : « Ah ! Des avocats qui écharpent ! ».
Jour 5 - Jour des plaidoiries et du réquisitoire
Chose pénible qui peut arriver à un défenseur, parmi tant d'autres choses, c'est de voir son client condamné à une peine plus haute que celle que préconise son accusateur.
C'est le grand jour. Il faut refermer le bal et plaider. Les parties civiles parlent avant l'accusation. C'est l'usage. Après s'être comportés comme de sombres pourceaux pendant cinq jours, ils montrent un peu de d'anxiété.
L'avocat peu fameux se lance. D'ailleurs, il n'y a pas de mal à être peu fameux, mais c'est moins pardonnable quand on se donne de grands airs, et qu'on néglige la sainte déontologie malgré 20 ans d'ancienneté.
Donc l'avocat le moins fameux des deux se lance, pose le décor avec un acting de MJC et vous répète tout ce qu'a dit la victime, avec sa façon de se préparer à dormir, ses vagues pensées avant l'assaut et son état d'esprit ; le tout avec un ton surjoué et quelque peu pathétique. L'art du superflu, encore et toujours. On tente ensuite de susciter pour la victime quel qu’empathie chez le jury, bien qu’acquise avant même le début de procès (voire avant même la commission de l'infraction). Puis le jury finira d’être interpellé grossièrement et en ces termes : "Vous auriez pu être à sa place".
Voilà. Première plaidoirie terminée.
Au moins, cette intervention n'a pas porté d'accusation, n’a pas proposé de peine, ni parlé du passé judiciaire d'un accusé. Elle est restée à sa place. Elle n'a parlé que des faits et du ressenti de la victime.
La deuxième plaidoirie des parties civiles ne sera pas différente. Elle sera peut-être plus fluide et plus fleurie, mais moins mémorable.
Puis vient le réquisitoire.
Ça commence par de la pédagogie auprès du jury avec une explication du principe de la peine de sûreté (c’est à dire qu’aucun aménagement n’est possible dans ce délai, aucune sortie envisageable), et qu'il faut qu'elle soit haute, car en France, c'est bien connu, personne n'effectue la totalité de sa peine.
Est-ce à dire que les collègues de l'application sont laxistes ? Qu’en France les lois ne sont pas appliquées, et que ça favorise la récidive ? Ce simple propos porte un biais répressif terrible. On devrait plutôt admettre que les gens sortent avant la fin de la peine, puisqu'ils présentent un projet de sortie correct (travail et hébergement), gage de leur amendement et de leur volonté de se "réinsérer" (comme de foutues clé USB).
Ce réquisitoire fut autrement très correct, puisqu'il reprit avec beaucoup de clarté les rôles et les implications de chacun, en ce que l’un a rejoint untel à telle heure ; l'autre a effectué telle recherche sur tel téléphone à telle heure et que ça a activé une borne téléphonique à tel endroit. Pas plus compliqué. Mais voilà, l'accusation propose une thèse. Votre client est donc mis en cause à la faveur... d'une simple thèse. Celle-là même qui entend voir condamner chaque accusé à des peines de 10 années en moyenne.
Il faut alors "déconstruire" cette thèse. Pas à la manière d’un chroniqueur de France Inter du service public télévisuel post-soixante-huitards dégueulasse et stérile. Ici, on dit bien déconstruire au lieu de détruire. Car on ne bourrine pas contre l'édifice dressé par l'accusation, mais on déboulonne, pas à pas, pour proposer un narratif qui tient la route. Mais c'est un propos forcément irritant qu'il convient de tenir.
Irritant pour les trois juges qui, comme vous, sont épuisés par cinq jours de débats, et plus de 70 heures à se concentrer et à absorber de l'émotion. Un propos forcément irritant qui empêche tout ce petit monde de s'endormir et de condamner sur des hypothèses et sur des vraisemblances. Mais, pendant le déroulement des hostilités, vous sentez que la décision est à moitié écrite avant de refermer le bal des pendus.
La plaidoirie
Dans l'effervescence, vous n'avez pas vraiment bossé la forme de votre plaidoirie. Qu'importe, vous avez ça dans le sang. La voix est chauffée et prête. Le stress est maitrisé, mais le manque de sommeil vous fait perdre 20 points de QI. Heureusement que le coeur de l'intervention a été préparée dans la paix de l'âme et la sérénité de l'esprit.
Ainsi l'intervention commence. Vous saluez le président, les membres de la cour et le jury. La voix est là et elle fonctionne. Maintenant, chaque parole doit percuter le crâne de l'auditoire et, comme savez la cause perdue, doit même s'imprimer dans le code génétique de ceux qui vous font face.
Alors vous attaquez d'emblée sur les silences de l'enquête quant à l'implication de votre client. Ni message, ni écoute, ni filature ne l'accable.
Plus complexe, vous attaquez ensuite l'ADN, que l'on estime avoir été exporté. Cette défense est attendue des magistrats, si bien qu'ils ont eu eux-mêmes la délicatesse de l'annoncer pendant la séance, comme pour défier les défenseurs, ou pour y préparer le jury... C'est louche. Mais eh ! personne n'a dit que le système était juste !
Puis on avance, on prend le temps, on détache les mots et les phrases, on s'indigne, on va et on revient, on donne tout, et pas de regret.
Arrive l'évocation de la personnalité, du milieu de ces gens, de ces quartiers, de ces caravanes, de ces baraques en toiles qui abritent la plus parfaite des indigences. Quel profit a-t-ont tiré de ces faits ? Est-ce que leur mode de vie a évolué ? Bref, le doute profite. Ce n'est pas une vue de l'esprit, mais un précepte tiré de la foutue Loi.
Une décision courageuse est invoquée. Une décision qui tend à différencier, à réfléchir, et sérieusement sur les implications de chacun, et sans la tentation d'attribuer un tarif de groupe.
Une décision courageuse revient à reconnaitre que l'enquête s'est arrêtée à ce coup de filet des moindres cerveaux. Les commanditaires, quant à eux, les heureux bénéficiaires cette opération, célébreront leur victoire à Marbella avec Tawfik le braqueur, et Mokhtar l'exportateur de fines herbes. On y reviendra certainement un jour... Lutter contre le crime organisé, c'est comme lutter contre la pauvreté ; ce n'est qu'une question de volonté.
La fin de la plaidoirie arrive ; on aura parlé 30 minutes, tel qu'il sied à la cause de celui qui encourt prison à vie. Mais l'hybris vous guette, et vous réglez vos comptes en direct, devant une France médusée. Vous interpellez le banc de la partie civile en lui reprochant d'avoir parodié l'accusation. C'est inutile à la cause, mais ça fait du bien. Aucune complaisance pour les fumiers et les sacs à merde.
Donc l'acquittement est demandé.
À la fin et en sortant, la famille des accusés vous fait une haie d'honneur. Un espoir s'est crée. L'espoir est déraisonnable. Le retour au réel risque d'être cruel.
Délibéré.
Durée : 5 heures. Certains diront qu'il est plutôt long, puisque deux des trois accusés ont reconnu les faits. On se satisfera de l'idée d'avoir, éventuellement, instillé le doute dans les esprits.
Appel de la greffière à 22h : le verdict tombe dans 30 minutes. Le diner est écourté.
On entre de nouveau de cette salle que l'on aimerait fuir, comme cette amante qui n'a rien à nous offrir.
Le verdict
La séquence est parfaitement romanesque. Un retard de 30 minutes est annoncé. La cour ne reviendra que dans 30 minutes. Pendant ce temps, les familles vont languir comme des lézards sous le soleil d'Alicante en plein mois d'août. 30 minutes durant lesquels les baveux donneront un peu de lien social au personnel pénitentiaire qui, jusque là, ont été parfaitement aimables avec vous et votre client. Alors pour tuer le temps, on parle grades policiers, art oratoire, détenus célèbres, de Germain Gaffe à Carlos.
On vous a certes refusé de donner au client un petit chocolat pour casser le jeûne que l'évènement lui impose. Toutefois, on vous a laissé le voir dans les geôles pour un temps quasi-illimité, y compris quand le personnel voulait, au moins une fois cette semaine, retrouver leurs familles avant 23h. C'est une sacrée organisation d'escorter un détenu. C'est 3 à 4 surveillants pénitentiaires qui sont sollicités et détachés de la maison d'arrêt. Un service complet, qui mobilise au moins un surveillant en chef sur place. Belle escorte, ferez-vous remarquer.
La police judiciaire est aussi là pour assurer le service d'ordre au palais. Et c'est tant mieux, puisque le personnel de la justice semble assez tendu qu'il y ait 30 manouches-espagnols (pléonasme certes) réunis dans un si petit secteur. Et même pas pour un anniversaire ou pour un mariage, ce qu'au fond vous déplorez...
Aussi, vous trouvez du divertissement dans ce policier manifestement roux, puisque sa barbe l'est et que son crâne chauve ne livre aucun indice. En cela, tant son physique que sa voix vous divertissent, et cela vous inspire une caricature en bonne et due forme sur le style de Juvénal, au stylo-bille et sur un papier-brouillon. C'est une des dernières libertés que l'on a. Puis merde ! vous êtes avocat.
Retour de la cour. Enfin. Le verdict tombe. La répression fait son oeuvre. L'accusateur est suivi, et c'est un tir groupé. Le doute n'a pas profité. La haie d'honneur est devenue un coupe-gorge et sortir trop vite de la salle d'audience, c'est se faire gifler ou gifler un injurieux. En soi, vous ne faisiez que partie des meubles. Car cette grande pièce est un chaudron, une galerie où les ébranlements se succèdent. Comme lorsque l'auditoire a soufflé très fort "ouh" et à l'unisson au tombé de la condamnation la plus élevée, correspondant à presque deux décennies d'une vie. Comme lorsque ceux qui comparaissent libre se retrouve dans le box des accusés, peu après le délibéré. Venir libre et repartir dans la boite.
On les voit dire chaleureusement au revoir à leurs soeurs, leurs frères, leurs cousins, leurs nièces... Les bises s'enchainent et sont interminables. Quelques mots bienveillants sont donnés. Le bonjour sera passé aux absents et, munis de leurs gros sacs de courses qui réunissent toutes leurs affaires, et toute leur existence, ils partent au quartier des nouveaux arrivants de la maison d'arrêt. Les absents parleront désormais aux absents.
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