Le croque-mitaine des hyménées

    Il était un temps où les hommes cessèrent d’être des hommes, lorsqu'un jour de pluie, dame mariée seule en ville sortit. Les secondes noces de sa plus proche amie arrivèrent, et la gracieuse voulut s’offrir une tenue rare. Elle se hâta chez le plus fin des tailleurs pour faire acquêt d’un habit azur, orné de plis et d'un ceint blanc et or. Pour elle, nul péril n'était plus grand que celui d’être confondue parmi les autres gentes de la bonne société. Mais les agitations de ce bon coeur étaient insensées, car malgré ses noces d’argent, notre héroïne ne souffrait d’aucune rivalité parmi les jeunes aux belles joues, et elle fut même honnie par les vilaines. Mais l’esprit féminin souffre de ses incurables tourments...

    Elle se figurait avec joie les festivités, se voyant déjà au bras de son époux, bien qu’il était un peu mou, et présenter aux convives salutations et hommages. Elle s’imaginait arpenter avec grâce les sillons des buffets et salons dansants. Elle se vit danser la ductia, l’estampie, la tresque et la tarentelle, mais toute seule, comme à l’usage, ou avec quelques galants, pour la raison que son époux demeurait dans la veulerie la plus ébouriffante. Danser et se repaître des splendeurs d'une crédence bien garnie étaient pour elle les rares plaisirs hédonistes auxquels elle put prétendre.

   Mais voilà qu'au moment de donner payement au boutiquier, elle fouilla dans sa besace, puis elle s'accabla d'avoir omis ses piécettes. Dès cet instant, ses espérances d'éclat se décomposaient. Assez tôt, vint la secourir une bonne fée vive, mais avare. La petite chose ailée et toute scintillante s’empressa de donner correspondance au mari pour qu'il offrit moult écus à sienne épouse. Peu brave, l’homme se fit d’abord silencieux, puis sans féerie aucune, il finit par se fendre d’un las : « Bien mieux à faire. On verra plus tard ». Ainsi l’épître tombait en déshérence. 

    Puis ces mésaventures furent couronnées d’un soleil couchant, au dénouement d’un jour déjà peu éclatant. Dès lors, bonne dame rentra au foyer d’un pas trainant, sous une pluie légère et fraiche qui humectait ses longs cheveux roux devenus noirs ; et les gouttes importunes dissimulèrent des larmes mêlées de colère et de tristesse, toutes nées de l’abandon et de l’infortune. Elle qui donnerait tout pour son époux...

    De retour en son foyer, elle retrouva son époux en demi-sommeil et peu disposé à faire repentance. ''Dire que j'ai offert trois marmots à ce gros pot de faïence !" se courrouça la dame en son coeur. À peine ces pensées la traversèrent que sitôt elle les regrettèrent. Chaque négligence qu'elle subissait fut une déchirure, néanmoins elle s’efforça de s'en accommoder par la force du devoir conjugal. Mais de combien de maux une âme généreuse peut endurer, sans n'être jamais en retour gratifiée ? 

    La vérité, la voici : sur le misérable qui méprisa l’hymen qu'il a pris, s’abattra sur lui le mal que tout homme redoute, même le plus endurci ; car je suis la plus sombre des ombres, la plus obscure des nuits ; je suis les ténèbres du plus profond des puits. Ma jeunesse gaillarde, affamée et courtoise vint ainsi troubler cet hyménée. 

    Je suis de la lignée de la Bête cornue.

    Lors de la cérémonie tant espérée des secondes noces, je pris une forme humaine et vis au salon notre héroïne, belle, souriante, chaleureuse. Elle fut toute vêtue d’une robe rouge satinée qui tombait amoureusement sur elle, bien que l'habit dût résider en sa commode depuis fort longtemps. Et cette soierie, ne fut-elle pas son premier partirévéla des courbes qui manifestèrent toute la fécondité du « bel âge ». Et quoique cette personne eût la fesse un peu molle, je fus d’humeur à honorer dignement ce signe distinctif de la maturité et de la sagesse ; tant de qualités dont ses contemporaines étaient dépourvues. Ainsi qu'une légion de canis lupus, je m'approchai de la dame, et lui dis quelques futilités sur l’ivresse de la foule, qui tout autour tourbillonnait. Après quelques instants, et avec pieuse advertance, elle m'indiqua qu'elle était accompagnée de son mari, mais nulle part l'on ne l'apercevait. Il put reparaitre à tout instant. Soit. À la nouvelle qu'elle était mariée, je feins la surprise. Elle dit aussi son âge, et je feins plus encore d'être surpris. Par deux fois, elle fut flattée. Puis, plus avant, je puis m’intéresser avec sincérité à sa profession, ses passions, ses souhaits, ses exaucements... Dès ce moment, son époux ne me paraissait que plus damné. Cet ignoble contempteur du corps de sa femme... Or, tant d'esprit ne pouvait demeurer si longtemps ignoré.  Dès lors, consumé d'envie de posséder ce corps et d'être captifs de ces belles jambes, je me fis un malin plaisir à lui rappeler ses bons souvenirs de jeunesse, ses plaisirs de jadis, ses belles expériences... Le grand Midi d'une attraction réciproque venait de sonner. Elle eût de nouveau vingt ans, et nous nous parlâmes à présent d’égal à égal. 

    Pour ce feu naissant, retentit une musique qui, par un heureux hasard, annonçait une nouvelle mesure dans notre discussion. Le mari était toujours loin, certainement claustré au dispensaire des désabusés. Le tempo de nos coeurs fut aussi plus rapide. J’évoquais des choses plus intimes sur ma personne ; elle en fit de même. Je donnai force ouvrage à son imaginaire ; je le souhaitais brûlant, incandescent. Je suis à ce moment l’aurore d’une émotion qu’elle pensait éteinte. Je suis la foudre qui s’abattait sur le pauvre hère qui prétendit qu’elle n’était plus attirante. Mais le temps n’était point à la catharsis. La saveur si âcre de la frustration est à la chose amoureuse ce que le levain est au pain. Je l’invitai alors pour une rencontre prochaine, en un lieu émaillé de la majesté de son âme.

  Le jour qui suivit, nous nous retrouvâmes dans une librairie pleine de vieux ouvrages au charme désuet. Ce fut l’été en ce temps-là, et les bonnes gens furent libres de leurs loisirs. Puis cet époux serait bien incapable de remarquer une absence. Dans ce lieu paisible et rassurant entre tous, reposèrent les joyaux qui portèrent en eux les fruits de la connaissance. Notre héroïne fut portée par l'enthousiasme. Elle toucha les vieux grimoires du sublime Rabelais, comme elle le fit avec le Traité des liens de Bruno, ou l'oeuvre de Pico della Mirandola. Elle fut émerveillée. Après un bref passage dans un troquet à nous enivrer, elle me reçut en ses appartements. À cette invitation, je clamai gaiement que nous allions : « nous livrer à une expérience de pensée après nous être enivrés de livres et de vins ! ». Que ceci soit entendu : ce trait lui fort plut. Elle ne fut ni effrayée, ni prise de culpabilité de se trouver seule en son foyer avec un obscur courtisan. Et pour mieux la happer, je déplorai en cet instant que nous n’eûmes point la chance de danser ensemble la fois dernière. Donnant prétexte que j’eus une leçon à lui enseigner sur la métaphysique des coeurs, je pris doucement sa main et sa taille, puis entama quelques pas bringuebalants. Désormais, je menais de mes mains son destin. 

    Se fit alors ressentir la chaleur de nos mains, lesquelles glissèrent vers des parties de plus en plus défendues. Mais pourquoi se hâter ? Faisons encore mine de danser. Nous sûmes ce qui pouvait suivre. Nous en rêvions depuis notre première rencontre. Et très gentiment j’amenai ses flancs côtoyer les miens. Elle ne put dès ce moment ignorer le désir que je lui portais, et la raideur amoureuse que ceci engendrait. Le chaud de son être s’exprimait aussi dans l’aimable creux de son corps. Sans précipitation encore, c’est une main qui vint effleurer sa joue rosée. Chaque seconde était un pesant fardeau avant que mes commissures purent rejoindre les siennes. Alors, je fus un migrateur louvoyant vers le grand Sud ; j'avançai sous l'empire de son souffle court, rapide et chaud pour réclamer meilleure intimité avec son visage, lequel fit apparaitre des éphélides ornant ce teint mi-pâle mi-rosâtre ; puis d'un coup d'un seul, nous nous goutâmes langoureusement dans un ballet lent, humide et envoûtant. La transe ne manqua point de répondre aux supplications de nos deux corps. Alors tel le montagnard dénué de destination, je viens trainasser entre ces vallées gonflées par mille brises. Je saisis un de ces fruits défendus qui vint épouser ma paume ; et cette tendre chose incarnait toute la fermeté d'esprit de sa maitresse. Ainsi, le bustier qui enfermait cette sainte poitrine tambourinante ne devait plus être. Coeur contre coeur, je déboutonnais cet habit, autrefois gracieux, désormais odieux. Je fus le vainqueur de cet étau, et mon trophée se présenta en un corps nu, aux hanches larges, à la taille resserrée ; et furent lâchés de longs cheveux d'un roux prodigieusement orangé. Je me fis loup salivant devant son gibier. "Je ne suis pas rousse mais blonde vénitienne" dit-elle d'une petite voix timide et légèrement éméchée. Pour pareille muse, le peintre florentin aurait tué.

    Notre incommodante bipédie trouva remède dans notre transport sur une couchette du salon familial qui était isolée, presque délaissée et que notre lubricité put souiller. Je donnai bascule à ce corps mince qui vint échouer sur un édredon aussi gris que sa vie maritale. Cette fois, en voyageurs curieux et indiscrets, mes phalanges effleurèrent chaque fragment brun de ses doux écrins, enflés de bonheur. Je pris ensuite une direction qui fut pour elle autrement plus émoustillante ; je m'attardai davantage sur son nombril pour plus loin élire domicile en son havre ardent qui suintait de tout son soûl. Je libérai ainsi cet entrejambe de sa cruelle geôle. Elle ne fut pas indifférente à un premier toucher de son noyau charnel, durci de sa passion. Les mouvements de son aine m'invitèrent à goûter son nectar, et tel un assoiffé, j'embrassai cette oasis avec une vigueur qui put me conduire au trépas. D'Est en Ouest, du Sud au Nord, j'écumai sa rainure et dégustai sa baie sous ses contractions enflammées. Puis elle m'interrompit, et voulut que ma piété sillonne son passage fendu, qui au travers son nylon déborda d'émoi. Son cou se vit gratifié des honneurs que dut prodiguer un bon amant, et elle me prit de ses deux mains, me dégrafa lentement, et - à son tour - m'affranchit de ma propre camisole. Elle languissait que je m'introduise en elle. Je me trouvai à présent enserré dans une mer qui me happait et me repoussait. Avec la plus grande des voluptés, je fus à la fois célébré et rejeté par une étroite cavité, dont le vestibule était soigneusement dépilé, et je fus pris dans un torrent d'émotions vives et joyeuses. Je perçai des abords aqueux et explorai lentement ce lieu si secret, d'avant en arrière, seuls sens possibles. Par un attrait tantôt mou, tantôt rigide, j'agis avec profondeur pour laisser dans ces alvéoles la marque de mon passage, tel l'homme des temps anciens. Un bref repos devait néanmoins calmer tout débordement enthousiaste, au risque d'appeler bien trop tôt le déluge que je réservais à ces terres prodigues. 

   Après, quelques flâneuses caresses, ma très hospitalière hôtesse m'invita pour une nouvelle danse, avide que l'on éveilla ses sens. Puis dans un battement frénétique, je fus loué avec des soupirs des plus hauts satisfécits. Je souhaitai que ses jambes m'écrouassent pour l'éternité, et son étreinte fut bien rigoureuse... Ce corps petit et si féminin cachait en réalité une grande force. Je croisais avec elle les fers, et presque à bout de souffle, nous n'avions peu d'égard pour qui succomberait le premier. Des cris et des paroles inaudibles, stridents ou graves, vinrent exciter ce duel guerrier, laissant paraître les effluves de l'effort. Je sentis en elle enfin les premiers tremblements d'une joie soudaine. Ma rage de vaincre n'en fut que mieux affermie. Elle vola mon maillet avec lequel je la heurtais amoureusement, et plus aucun membre ne m'appartenait. Nous ne formions qu'une seule et même créature exaltée, partageant les mêmes sens, dont le seul affect fut le plaisir exacerbé. Puis par deux gestes brusques de deux paires hanches qui s'entrechoquèrent, nous sentîmes l'explosion de l'extase, et nous fîmes traversés par quantité de vagues chaudes et terriblement puissantes. Mon tronc s'écroula sur le sien et l'air devint sucré. À l'unisson, s'échappèrent de nous de fortes respirations, signes du dénouement de l'intense agitation de deux âmes qui n'en formaient qu'une. Nous restâmes béats plusieurs instants, goûtant notre savoureuse plénitude. Nous échangeâmes candidement quelques mots, puis j’ironisai sur la beauté du vice. Je lui dis que si l'aimer était un tort, alors je ne voudrais jamais avoir raison.


MORALITÉ : 

Faire si peu de cas de sa moitié : rien n’est moins tolérable.

En particulier lorsqu’entre toutes, celle-ci est adorable. 

Le corps délaissé sera alors saisi par les griffes de plus vigoureux, 

Et l'époux embesogné restera primé par plus industrieux.

Crime est ainsi commis, 

Par l'homme qui pense son hymen acquis.



AUTRE MORALE :

Ne sois point trop froid, indifférent et ingrat.

Indécis et paresseux, bannis de ton jargon les "peu importe" et "comme tu voudras" ;

Ou en petit homme, chacun te reconnaîtra.

Mal aimable, et trop benêt pour connaitre ta fortune,

L'univers pour toi gardera rancune.

Et l'émanation de la justice céleste, 

Rendra ton hyménée palimpseste.












Commentaires

  1. Excellent, et quel style ! De quoi provoquer quelques redirections sanguines involontaires.
    Je déplore juste quelques erreurs, dans la conjugaison du passé simple notamment, ce qui est dommage vu le très haut niveau du texte.

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    1. Merci Fred ! Oui, je m’attendais bien à quelques griefs ! Cette langue est bien étrangère à celle que je pratique quotidiennement au travail. Donc un vrai challenge. Je vais revoir tout cela. Chaque billet de ce blog discret a vocation à évoluer avec son auteur. Avec le recul, je juge souvent très sévèrement mes anciens écrits.

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    2. EDIT : J'ai fait un petit travail complémentaire avec un bon vieux manuel et plein de corrections ont été apportées ! Et en effet à certains égards c'était vraiment le bordel... J'étais hyper concentré sur le fond et on a beau aimer ce qu'on écrit, on a toutefois tendance à en avoir marre de se relire ! Je vous remercie de m'avoir poussé à aller plus loin.

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