Peut-on se lasser de l’été ?

À mille lieues au dessus des hommes, 
l’Hiver vient réclamer à l'Été son trône d’argent. 

L’Hiver, houspillant un Été indifférent

Grand hypocrite, cédez donc la place !
Les plaisirs les plus doux sont les plus fugaces.

L'Été, répliquant 

Envieux, porteur de toutes les maladies ! 
De mes étreintes, chaque corps se languit.
Car gorges brûlantes et oreilles rougies,
Sont les grises moissons à votre effigie.

L'Hiver, courroucé

Les simples vous désirent, ne sachant endurer.
Or pour leur bien, le prince Hiver doit régner.

L'Été, irrité

Nenni, car je reste le moindre mal !
La mort des feuilles aux arbres est votre cabale.
Sous votre empire malsain, la nature périt.
Et votre piété pour la Toussaint est une incurie.

L'Hiver, plus vivement encore

Glosez, mais votre présence est un étouffoir.
Sueur et soif sont les tares de votre bon vouloir.
Devant l'horrible bruissement du moustique,
Les engelures aux mains semblent modiques.
Aussi, le vêtement de votre temps est sans âme, 
Et les hauts et les bas n'ont guère de charme :
Court, le tissu trahit des tatouages moches ;
Même ample, on reste à court de poches.
Encore, vous faites du sol un charbon ardent,
Et le moindre soulier devient inconvenant.
Votre chaleur est ainsi une odieuse caresse,
Et ne suscite que mollesse et paresse.
Or, pour se réchauffer, mieux vaut se couvrir,
Au lieu de vos griffes ardentes avoir à souffrir. 
Et m'accuser, moi, de brouiller les paysages ?
Mais qui donc suscite l'exode vers les rivages ?

L'Été, rétorquant placidement

Fi! Les pâturages saignent du gel qui les gâtent, 
Et de votre retour, personne n'a hâte !
Toute espèce irritée par vos jours éphémères,
Est prête à s'effacer par manque de lumière.
Mais... À quoi bon ces vaines querelles ?
Laissons ces affects aux mortels.
J'admets que vous tolérez le bleu au ciel, 
Mais la joie pérenne de l'homme est mon miel.
Or, vous et moi, nous nous croyions éternels. 
Mais heurtées sont les dispositions naturelles,
Car les tourments du vivant est notre mouroir.
Alors prenez ce trône, il peut vous échoir.
Puissent vos sujets jouir du brillant de leur or, 
Tant qu'ils le peuvent encore...


Commentaires

  1. J'adore ! Le choix du thème comme son expression, avec le vocabulaire qui va bien, et la chute (le mot est juste, je crois) qu'on ne voit pas venir...

    Si j'osais, je vous répondrais tout de même que le pire, c'est encore le printemps :
    https://vaineshistoires.wordpress.com/2021/06/14/les-beaux-jours-reviennent/

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  2. Merci à vous, j'ai pris un plaisir assez monstrueux à produire cette scène ! Si j'étais allé plus loin, j'aurais fini par soutenir que le printemps et l'automne ne sont que les résultantes des disputes entre l'hiver et l'été, ainsi que de leurs hésitations. Je vous remercie aussi pour ce partage, et suis navré d'avoir spammé votre page du même commentaire à cause d'une mauvaise manip' :/ (hashtag je comprends rien à Wordpress)

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