Brèves d'une permanence pénale ordinaire ; ou comment enrayer la broyeuse judiciaire
- « Ouais, ça va être la folie. »
Vous ne croyez pas si bien dire...
Un parcours initiatique
Arrivée au Temple d'Athéna, direction le greffe pénal. Le terne ascenseur pour y parvenir est un lieu merveilleux pour méditer. La grâce de l'élévation archimédienne nous rappelle que la permanence pénale est davantage qu'une opportunité manquée d’une grasse matinée un samedi ; c'est surtout une exploration des travers les plus sombres de la société. Aussi, au lieu de son week-end habituel en catamaran à Concarneau, le baveux surfera sur un dossier pénal truffé de sigles délicieusement bureaucratiques.
Qu'avons-nous alors ? Une CPPV et une audience JLD pour outrage sur PDAP avec ESR ? Énorme.
Au palace boisé que constitue la salle réservée aux avocats, on voit que notre brave gaillard a insulté une policière (PDAP). Un marginal, d'après l'enquête sociale rapide (ESR). Malheureusement, sa défense pénale sera tout aussi rapide, parce qu'un excellent greffier nous signale que l'audience devant le Juge des libertés de la détention (JLD) est prévue dans une heure. Mazette. C'est peu. Et l'enjeu ? La liberté d'un individu que l'on veut enfermer en détention provisoire, et ce pour les quelques jours précédant son procès après y avoir été convoqué juste après sa garde-à-vue (CPPV - Convocation par procès-verbal).
Tout s'enchaine pour le mis en cause, et toute une institution est prête à lui rouler dessus.
Rencontre avec un phénomène
D'abord, un examen du dossier s'opère sur une table d'écolier. Il s’agit là d’exposer doctement d'un jaune fluorescent les éléments d'identité, de personnalité et les faits importants. Ensuite, il est temps de lever son séant pour avancer vers les geôles du Palais. Dans un endroit bien trop éclairé, le Procureur attend le mis en cause pour s'entretenir avec. S’en suit une triste vérification d'identité du sire, et un court rappel des raisons de sa présence en ces augustes environs.
Face au " Proc' ", poignets étreints, on voit un petit gars de 35 ans, déscolarisé et déclassé, qui gigote sur sa chaise et qui porte facilement la voix. On l'imagine bien gueuler un soir "SALOPE, PÉTASSE, LESBIENNE" en direction d'une femme flic qui lui reprochait juste de faire trop de bruit. Le problème est qu'il reconnait à peine les faits et qu'il se confond en propos incohérents : "MONSIEUR LE JUGE J'Y SUIS POUR RIEN, J'ÉTAIS TRANQUILLE, J'AI RIEN DEMANDÉ, ILS M'ONT ATTRAPÉ". Le Monsieur est un peu vif. Il commence même à chanter du Michel Fugain et à imiter Louis de Funès. Dur de ne pas se marrer sur le coup. Bon an mal an, il faut vite le recadrer en l'enjoignant poliment de redescendre d'une octave. Il aura l'occasion de s'exprimer de tout son soûl pendant l'entretien confidentiel à suivre.
Entre formalités et stratégie
Presque seuls. On attend que la lourde porte du parloir se referme pour engager une discussion avec plexiglas interposé. On s'enquiert de ce que ses droits lui ont été notifiés, qu'il a bien été traité, et surtout on lui demande s’il prend des médocs. Sur ce dernier point, que nenni. Pourtant le soir des faits, il a été vu en pleine dispute avec lui-même, comme pris d'une sorte de crise psychotique.
Fou ou pas, l'individu apprécie d'être écouté et traité comme un être humain. Un ressenti inexistant chez lui depuis au moins 72 heures. Ensuite, on confronte sa version avec celle des policiers, et on annote rapidement le dossier pour l'assimiler et forger la trame de la plaidoirie. Efficacité.
Et puisqu'on est dans la phase qui précède le « vrai » jugement, on doit seulement rechercher des "garanties de représentation", autrement dit des garanties de ce que le justiciable a un endroit où dormir afin qu'il se présente libre et à l'heure à l'audience de jugement (qui traitera de la qualification pénale et des faits). On veut démontrer aussi que Monsieur n'est pas une menace pour autrui et qu'il peut comparaitre libre, lui permettant notamment de rentrer chez lui se doucher. Fort heureusement, il peut vivre chez sa soeur et ses oncles, dont il connait les numéros par coeur. Cocasse pour quelqu'un qui, de prime abord, ne saurait même pas lire l'heure.
Bref, on lui conseillera d'en dire le moins possible au juge, de rester calme, voire d'exprimer des regrets. Sinon, la prochaine 8.6 qu'il pourra s'acheter, ce sera pas avant Noël 2022.
La plaidoirie, source de nuance
On dirait presque une fiction, et pourtant... Bien que ne connaissant absolument rien aux institutions judiciaires ni à leur fonctionnement, la gratification que vous évoquez à la fin de votre texte est pleinement ressentie par le lecteur que je suis.
RépondreSupprimerCher Fred, merci ! Le théâtre judiciaire a quelque chose d’extraordinaire. Je ne connais aucun endroit où l’intensité est telle. Et c’est un véritable privilège d’y participer et de s’y rendre utile.
Supprimer