De la nécessité de lire Bossuet

On en conviendra, ce monde est une véritable poubelle (sauf Oslo qui est propre comme une écuelle). Mais consolons-nous parce qu'il a existé - certes il y a fort longtemps - des auteurs au style le plus rare et le plus pur. Parmi eux, le très haut et le très talentueux Jacques-Bénigne Bossuet. Le fameux évêque de Meaux, fils de magistrats, a été assez fin pour saisir, grâce à Saint Augustin, l'importance de l'éloquence du message religieux. Ainsi allait-il apprendre des pièces de Corneille. 

De Bossuet, les panégyriques des princes et rois sont d'un style redoutable, clair et beau. Les phrases sont longues, mais elles donnent au sujet un flamboyant tel qu'elles paraissent légères. Ainsi de l'oraison funèbre de Louis II de Bourbon, cousin de Louis XIV et éminent Général : 

"Mettons ensemble aujourd’hui, car nous le pouvons dans un si noble sujet, toutes les plus belles qualités d’une excellente nature ; et, à la gloire de la vérité, montrons dans un Prince admiré de tout l’univers que ce qui fait les Héros, ce qui porte la gloire du monde jusqu’au comble, valeur, magnanimité, bonté naturelle, voilà pour le cœur ; vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie, voilà pour l’esprit, ne seraient qu’une illusion si la piété ne s’y était jointe ; et enfin que la piété est le tout de l’homme. C’est, Messieurs, ce que vous verrez dans la vie éternellement mémorable de Très haut et Très puissant Prince Louis de Bourbon, Prince de Condé, Premier Prince du Sang".

Un tel éloge valait bien la peine d'être prince, n'est-ce pas ? Aussi, Bossuet inspire, déchaîne notre imaginaire et suscite l’envie d'honorer. Chaque oraison est une main tendue vers la fatalité, et une autre vers celle ou celui qui est frappé du malheur. Tels ces mots se voulant réconfortants après la mort subite de la belle et divine Henriette d'Angleterre, protectrice de Racine et de Molière :

"Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événements de notre vie, par une raison particulière devient propre à mon lamentable sujet ; puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues".

Non content de seulement nous inviter à embrasser la fatalité, Bossuet nous élève au-dessus de nos pitoyables émotions et de la licence de la petite société des hommes. Certes, la vie est brève ; et la vie est une chance et un bonheur qui peut cesser d'un coup d'un seul. Mais, dans le coeur du chagriné, la réjouissance d'avoir vécu de délicieux moments doit triompher : "O mort, éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie !"

Tentez donc de déclamer ces phrases. Vous prendrez la mesure de la force du souffle de cet orateur. Et quel bénéfice l'on peut tirer à lire du Bossuet à voix haute... C'est apprendre la solennité, l'élégance et la force du langage, si bien que tout autre discours vous semblera écrit par un enfant.

Éloges ou sermons ? Les deux. Ainsi Bossuet a osé rompre avec les vieilles conventions, et son génie était assez haut pour glorifier des figures illustres et nous livrer de sublimes leçons de vie. Comme lorsqu'il honora Nicolas Cornet, maître de la faculté de théologie : 

"Heureux seront ceux qui vivront comme il a vécu ! heureux seront ceux qui pratiqueront les vertus qu'il a pratiquées ! heureux seront ceux qui mépriseront les charges et les titres que le monde recherche ! heureux seront ceux qui ne s'enivrent pas de la fumée du siècle ! heureux seront ceux qui ne vont pas dans la boue des plaisirs du monde !".

Pour résumer : sachons bien nous comporter. 

Un rappel qui fait du bien. 

Donc, c'est bien au moins pour cette seule raison que l'oeuvre de Bossuet, par l'intention qu'elle a d'aider, de consoler et de soigner, plus que de glorifier, est transcendante, universelle et intemporelle.




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