Sur la façon de lire un poème ; ou un petit éloge de la lenteur

Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,

Faire une perle d’une larme 

....

Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie ;

Écouter dans son coeur l’écho de son génie ;

Alfred de Musset, Qu'est-ce que la poésie ?


Nous le voyons ici : la poésie est danse, mélodie et harmonie. En quête de la sonorité parfaite, l’auteur joue de la syllabe comme d'une note, du mot comme d'un geste, puis toute la phrase se met en mouvement dans un assaut de vives lumières.

Aussi, qui sait lire un poème pourra, à la faveur des bruissements de son coeur, s'étonner ensuite d’exprimer ses sentiments avec grâce et acuité.

Ainsi la poésie stimule un imaginaire qui est sans cesse agressé par le vulgaire, et elle nous rend plus réceptifs aux plus subtils détails. La lire, c’est alors vivre une jouissance toute particulière.

Quelques principes sont ainsi à observer.

1/ Savoir s'arrêter sur chaque mot

De grâce, prenez votre temps.

Pour illustrer cette nécessité, prenons ce poème de Mallarmé : 

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur, 
Un automne jonché de taches de rousseur, 
Et vers le ciel errant de ton œil angélique 
Monte, comme dans un jardin mélancolique, 
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur ! 
- Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur 
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie 
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie 
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon, 
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
Stéphane Mallarmé (Soupir)

Chaque mot compte.

Le malicieux Mallarmé, maitre du symbolisme, se plaisait à utiliser des mots aussi abscons que polysémiques.

Prenons alors le temps de visualiser, de laisser les images se former dans nos esprits, d'établir le lien entre l'âme et sa soeur, puis de penser au sens de l'automne, qui paraît être ici la fin d'un cycle... Ressentons ces associations sensorielles de cette eau morte qui "erre au vent", et de ce "froid sillon" que le poète ressent. Faisons comme ces Grecs anciens qui méditaient sur chaque ligne pour la tordre longuement et bien la macérer.

Si la strophe continue de paraitre obscure, lisez-là à haute voix pour trouver l'intelligibilité du discours. On prendra soin de bien faire « claquer » les consonnes et d’allonger les syllabes quand le sens du texte le veut. 

La poésie, véritable musique littéraire, est du rythme éminemment tributaire.

2/ Débusquer le rythme suggéré par l'auteur

Chaque poème porte sa propre éloquence. 

Comme dans le poème suivant, l'on s'exclame, déplore, célèbre... Dans chaque vers, la majuscule marque l'attaque, la virgule la reprise du souffle, et la dernière syllabe est la finale qu'il faut accentuer, ou abaisser selon l'humeur du texte. 

Las ! je ne verray plus ces soleils gracieux, 
Qui servoient de lumiere à mon ame egarée ! 
Leur divine clairté s'est de moy retirée 
Et me laisse esperdu, dolent et soucieux. 
C'est en vain désormais, ô grand flambeau des cieux ! 
Que tu sors au matin de la plaine azurée, 
Ma nuict dure tousjours, et la tresse dorée, 
Qui sert de jour au monde est obscure à mes yeux. 
Mes yeux, helas ! mes yeux, sources de mon dommage, 
Vous n'aurez plus de guide en l'amoureux voyage, 
Perdant l'astre luisant qui souloit m'esclairer. 
Mais, si je ne vois plus sa clairté coustumiere, 
Je ne veux pas pourtant en chemin demeurer : 
Car du feu de mon coeur je ferai ma lumiere.
Philippe Desportes (Le Livre de Diane)

Dans la plupart des concours d'art oratoire, il est déplorable d'entendre, ou plutôt de ne pas entendre, les variations de ton qui pourraient exprimer la gloire d'un nom ou la puissance d'un adjectif. Ainsi, on ne peut lire "soleil gracieux" comme on lirait l'annuaire.

Le poème doit être vécu autant qu'il le fut dans l'esprit de son auteur.

Conclusion

À l'ère de la crétinerie à tombeau ouvert, la poésie est un plaisir simple et peu coûteux qui donne à méditer, et à faire fi de ses tracas. Elle est un petit oasis de beauté dans un désert de laideur. Et il y en a pour tous les goûts. Par exemple, les sensibleries peuvent vous exaspérer, si bien que la Nuit d'octobre serait pour vous un discours comique. Alors il vous faudrait plutôt des Poèmes barbares de Leconte de Lisle, ou l'audacieuse Légende des siècles de Victor Hugo. Par contre, le choix est vaste si vous souhaitez trouver l'inspiration pour courtiser votre drôle. D'ailleurs, l'amour et le deuil sont des sources infinies de versification. Or, ces deux affects ne sont jamais que, d'une part, l'illusion de l'égo d'être chéri et désiré ; et d'autre part, la négation de la finitude de l'existence. 

Donc la poésie consisterait à se mentir à soi-même ?  

Précisément. 

Désavouons ainsi ce bon vieux Alfred qui énonça que la poésie, c'est "aimer le vrai". En réalité, il s'agit moins d'aimer le vrai que le beau. Donc la poésie, art du boniment, est un redoutable instrument. Elle vous permet d'en dire beaucoup en peu de mots, raison pour laquelle, encore au XIXème, on l'appelait « langage des dieux ». 

Prenons ainsi le temps d'en savourer chaque trait, comme si notre vie en dépendait, et "d'écouter l'écho de nos génies".












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