Comment tuer un jeune de banlieue ; ou ce génocide silencieux qui a lieu sous vos yeux
"Madame, votre garçon n'est plus à vous, il est complètement ruiné, faites-en ou adoptez-en un autre."
Voilà ce que pense très exactement TOUT baveux qui intervient dans une affaire de stupéfiants, sans pour autant oser le dire. Engagement de délicatesse oblige. La cause ? Des "caïds" ont pour religion de faire autorité sur des gamins sans aucun repère et dont l'éducation parentale est calquée sur celle d'une portée de rats. Le "caïd" est d'ailleurs bien mal nommé, car ce mot est employé en Afrique du Nord pour désigner un juge, un administrateur, ou un chef de la police. Or dans notre société, il s'agit plutôt de qualifier la petite vermine au teint jaune-marron ou gris, dont la face a été complètement décolorée par les néons d'une prison à laquelle il n'a point eu l'intelligence d'échapper, et vers laquelle il a même eu l’extrême l'inintelligence de retourner. Sans doute par goût de la rencontre. Malgré tout, le jeune l'admire. Plus précisément, car vous aimez la précision, le sens stratégique de la vermine se limite à manipuler le "petit" de banlieue, éternel embrumé par une consommation plus qu’occasionnelle de stupéfiants et qui transporte, été comme hiver, entre 3 et 12 grammes de "shit" sur lui et qui est doctement accoutré de baskets (ou de claquettes pour les plus détendus), et d'un survêtement d'un club de Ligue des Champions (ce que son porteur ne sera malheureusement jamais). Malheureusement encore, c'est une crevure auto-marginalisée qu'il adule. Et elle n'hésite pas à menacer qui rechigne à faire droit à ses doléances : "Viens ce soir à 22h au square ou on va t'attraper" ; "N'oublie pas les crevettes dans le colis, parce que mon chéri codétenu veut manger bien pour la Saint-Valentin". Ainsi n'en faut-il pas davantage pour qu'au crépuscule d'une journée sans tâche, le moutard camionne son corps de grande mangouste vers le mur d'une prison, qui dans son esprit se confondrait presque avec un manoir princier aux mille délices d'Orient (alors qu'en ces contrées, il y a moins de délices que d'Orient). Et face à ce foyer onirique, le loustic sort un lance-pierre et avec ses doigts qui sentent le lisier tend l'élastique, puis propulse le "colis" par dessus la muraille, ne pouvant comptant sur la force de son seul bras décharné.
Donc non content d'être un malpropre dont l'allure ferait passer les années 1990 pour un âge d'or stylistique, il est également un supplétif de Chronopost. Qu'il ait une haie de futaie sur la tête ou un lissage au formol, ce jeune est pour la société ce que la prostituée est pour l'Office National des Forêts : une anomalie. Personne ne veut d'un Eden au parterre jonché de préservatifs et tampons usagés. Personne ne veut voir une Colombienne de 85 kilos déverser son urine sous un taillis. Mais est-ce à dire que notre société est immaculée ? La vérité est que la société est bien heureuse de mettre des gens au "ban" et de les appeler "misérables". Il est bien commode de laisser les stupéfiants passer nos frontières pour gangréner nos banlieues, car le "shit" a une double fonction sociale : donner du travail aux assistants sociaux, aux magistrats et aux médecins ; et de domestiquer une jeunesse qui pourrait vite s'insurger pour avoir compris la supercherie capitaliste. Mais au capitalisme, le toxicomane y prend toute sa part. Tout ce qu’il peut produire relève de la logorrhée par laquelle il tente de justifier sa médiocrité et son renoncement. Il s’essaye parfois à la pensée cosmogonique, et se revendique même parfois d’une doctrine religieuse, tout en oubliant qu’il en transgresse chaque jour le moindre verset. Pour le reste, il est animé par le rêve matérialiste du consommer, du posséder et de la oisiveté. Seul problème : il prend des modèles pitoyables, sans même soupçonner que c'est le rêve sodomite qu'il réalisera dans des geôles étroites.
Tel est le destin des pauvres en esprit dont le royaume des cieux est loin d'être à eux. Délinquants au plus jeune âge, ils verront leurs vies régies par des tribunaux correctionnels, des juges d'application des peines, des surveillants pénitentaires et des contrôleurs de probation et d'insertion. L'État impitoyable donnera à leur existence le sens qu'ils ont toujours refusé de donner. Leurs seules réelles échappatoires seraient de se faire hospitaliser pour désintoxication, et de dénoncer leurs commanditaires. Mais c’est peine perdue avec des parents désargentés, voire un peu débiles.
Et leur parcours est d’une profonde banalité : d’abord, ils commenceront par piquer à leurs honteuses génitrices quelques billets, initialement destinés à l'acquisition d'huile de friture, pour se payer de la résine (le résultat recherché n'est somme toute pas si éloigné). Ensuite, ils feront "le vide" (c'est le cas de le dire) avec 6 à 20 joints par jour, pour finir de se rendre irrésolus et irrationnels, autrement dit : incapables de finir un pauvre "BAC PRO CLIMATISATION", ni de se concentrer plus de 20 minutes, ou de résister très longtemps à une appréhension sans envisager la fuite, telle que celle de comparaître devant un magistrat. Et pour calmer leur anxiété toxicomaniaque, force est pour l'avocat de devoir hausser le ton afin qu'ils reçoivent au moins une fois l'autorité patriarcale qu'il leur manquait tant et qui fondait jusqu'ici notre civilisation.
Ces jeunes sont donc irrécupérables, morts, suicidés. Ils sont victimes du pire des bourreaux : eux-mêmes. Eux seuls peuvent se sauver. Aucune force exogène ne saurait trouver d'effet, sauf à titiller le peu d'égo qui leur reste, en dressant d'eux un portrait fidèle et les exposant à une violence militaire. Seule miséricorde raisonnable.
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