Le procureur le plus odieux

Les lignes qui suivent sont absolument véridiques. La scène se déroule à la septième bolge du huitième cercle des Enfers. Un procureur, qui est en réalité un Avocat général - en somme, le représentant de l'État à hauteur d'appel - s'apprête à requérir une peine. Nous attendions alors, comme souvent, un réquisitoire tout à fait monocorde disant que le prévenu est un individu au « profil pénal inquiétant » et qu'il convient de le sanctionner « à la hauteur de sa faute », etcétéra, etcétéra... Mais pas ici. Ici, nous affrontons le Périclès des prétoires, le Mussolini des parquets, l'Amin Dada de l'audience pénale : 

"Mais regardez-le faire le fier, la tête baissée et les yeux rivés au sol. Il vole des cartes bleues dans les vestiaires, puis il ose s'acheter des paquets de cigarettes et du Yop. Le préjudice est tout de même de 27 euros et 30 centimes. Et ce n'est pas la première fois. 

Cet individu est un voleur patenté, un sale escroc, un fumier, une ordure, une crevure, un flibustier, un coupe-jarret, un brigand, un vaurien, un gredin, un sacripant, un faquin ; il est la lie de Satan, le suppôt de l'humanité, un matamore pour qui il faudrait rétablir la peine de mort, l'exécuter et l’abolir par respect pour les droits humains ; d'ailleurs pour lui, l'exécution de cette peine devra impliquer des orties et un couteau à beurre. Cela doit être lent, rapide, efficace et exemplaire. Et s'il récidive, on rétablira peine de mort, puis on...

On en conviendra, le propos ne fait pas tellement sens. 

Cet Avocat général emprunte le zèle de l'avocat qui, lui, a tout intérêt à verser dans l'emphase et l'hyperbole. L'enjeu pour l'avocat, avec un petit A, est autrement plus louable que de surpeupler une prison à peine moins glauque que celle d'Azkaban (ou la prison de Bois d'Arcy, pour ne pas la nommer).

Cet Avocat général, selon moi, ne remplit pas son rôle de Défenseur des l'intérêt général. Bien au contraire. Il s'est lui-même donné pour rôle de mettre son éloquence au service d'un hubris à peine dissimulé. Il donne l'impression que la moindre entorse est méprisable, qu'il n'existe qu'une seule réponse possible au désarroi du délit : une belle lapidation en règle. Le souci est que tout un appareil d'État soutient cette initiative.

Un tel réquisitoire prête toutefois le flanc à la critique. Et en audience, on dénonce aisément une éloquence judiciaire qui n'est qu'invectives, et qui omet de décrire les circonstances du délit lorsque, bien entendu, il existe un doute sur la culpabilité.

Alors autant dire que, grand ou petit, riche ou pauvre : vous confronter à un tel accusateur réduit votre liberté à une simple gageure. Et à ce stade, plus aucun appel n'est possible (celui-ci ayant déjà été interjeté par le ministère public). Autrement dit, vous êtes déjà en Enfer.




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