Un mauvais roman policier
Il est 6h du matin. Le réveil sonne. Mon épouse est profondément endormie. Je me lève et contemple son paisible visage. Je ne le reverrais peut-être jamais, et elle le sait…
J’arrive au commissariat à bord de ma Renault Mégane. J’ai treize années de boutique aujourd’hui. Sur la route, je repense souvent aux moments de doutes et aux incidents, comme lorsque j’ai tazé un drogué à Porte de la Chapelle. Il m’avait menacé d’une bouteille en verre. ce jour-là, j’ai vu ma vie défiler dans mes yeux.
Le temps est gris et froid . Le vent d'automne bringuebale les feuilles mortes. Une journée longue et difficile s'annonce. Au poste, je croise le Major. Je le salue avec respect. Je me dirige vers mon bureau. J’aperçois alors Toto et Manu, respectivement officier des stup’ et enquêteur de la répression des fraudes. De gros bosseurs et de sacrés queutards.
Je partage mon bureau avec Vanessa. On est arrivé au même moment à la brigade des moeurs. Vanessa est une chouette fille. Elle n’a jamais été très chanceuse avec les hommes.
Elle me voit arriver au bureau et, comme souvent, elle me lance un : « Salut Denis, alors t’as réussi à tirer ta crampe hier soir, ou t’es toujours sur la béquille ? ». Vanessa sait y faire avec les mots. Ni une, ni deux, je lui réponds « Salut cocotte, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ? ». « Rien » elle répond. Ce qui veut dire dans notre jargon : « de la paperasse ». L’idée d’une journée à trimer sur les statistiques du Ministère me fait perdre le sens de l’humour. Je vais donc me faire un café à la filtreuse qui trône fièrement sur une commode métallique. Par quelques gestes, je saisis et tourne la pompe de la cafetière pour, quelques secondes plus tard, finir par me déverser du café chaud dans un mug estampillé "Alliance Police nationale". Je prends alors un instant pour contempler toute l'obscurité du breuvage, voyant s'y dégager une légère fumée qui prend les airs d'une danseuse balinaise.
Sonnent à présent les coups de 7h30. Vaness' reçoit un appel de l'équipier de l'unité d'intervention. On a appréhendé un individu suspecté de viol aggravé. Mince. Moi qui devais partir en congés ce soir... Cette affaire m’a été attribuée à moi, et à moi seul. Alors il m’incombe et me décombe de délivrer une procédure impeccable au parquet.
Je demande à voir l'individu et sans menottes, car je suis un brave. Il mesure à peu près 1m88, il a 22 ans, il a le teint mat et il est revêtu d'une paire de lunettes grise avec une branche qui rejoint les deux verres de part en part. Il présente vraiment toutes les caractéristiques du tueur en série des années 1970.
Tandis que le souffle du vent s'abat contre nos vitres mal isolées, j’interroge le suspect sur son identité. Il est calme et plutôt poli. Je l'informe de son droit de consulter un médecin et de faire appel à un avocat (en espérant qu'il décide de se passer de ce dernier).
Mince ! Il souhaite avoir un commis d'office. Procédure oblige : j’informe le magistrat de cette "belle prise". Je constate que nous avons été saisis par la plainte d'une jeune femme qui indique avoir procédé à un rapport buccal non consenti sur la personne du mis en cause. Les premiers éléments montrent qu'elle se revendique de la foi taoïste. Le suspect l'aurait rencontrée sur une application de rencontre réservée aux pratiquants du confucianisme. Elle voulait se marier selon les rites de Lao Tseu, tandis que, lui, n'aurait eu d'attrait que pour la bagatelle.
Son avocat arrive enfin au poste avec beaucoup de retard. Je lui signifie que les auditions se dérouleront jusque tard ce soir, et même jusqu’au lendemain Il acquiesce.
Je laisse passer l'entretien entre l'avocat et son client. L'échange aura duré moins de trente minutes. Tant mieux. Je suis pressé. Beaucoup à faire en moins de 48 heures, soit deux fois la durée légale d'une garde à vue, hors infractions commises en bande organisée ou terrorisme.
L'interrogatoire des premières 24 heures se déroule sans heurt. Le suspect est taiseux et nie toute contrainte. J'insiste aussi sur la circonstance qu'il aurait pu tromper la victime sur ses réelles intentions, et sur sa qualité de croyant. Son avocat endimanché soutient en réplique, qu'à défaut de preuve de l'acte forcé, la plaignante est adulte et serait pleinement responsable de ses actes. Ça me coûte de l'admettre, mais c’est vrai que le code pénal ne punit pas une séduction qui serait un peu trop bien ficelée. Malgré tout, j'ai vraiment beaucoup de mal avec le métier d'avocat...
L'avocat me remet alors des observations écrites, des fois que le procureur puisse les lire. Et comme souvent, j'oublie de les annexer au procès-verbal (PV) d'audition. Fort heureusement, l'avocat le remarque en lisant le PV. Je jure que c'était totalement involontaire. S’ensuit officieusement avec l’avocat un débat, car il nous demande où se trouve la « circonstance aggravante » de ce « viol aggravé ». La plaignante était-elle mineure ? Le prévenu a-t-il fait usage d’une arme ? Je ne veux pas avoir l’air de lui apprendre son métier, alors je lui apporte une réponse nuancée (en vérité, moi-même n’en sais rien). Je laisse alors Vanessa répondre : l’aggravation tient au fait que l’auteur ait pris contact avec la victime via… un réseau social. L’avocat souligne que l’esprit de cette réforme, récente par ailleurs, est de protéger les enfants des prédateurs.
Rebelote. Deuxième Audition. Je voudrais avant vous dire, qu’à la fin de la première audition, lorsque j’ai raccompagné l’individu dans sa cellule, je lui ai recommandé de tout nous dire, car « l’exploitation » de ses appareils numériques ne mentira pas, elle. Ainsi je me retrouve avec la collègue a fouiller très finement, devant prévenu, chaque application, chaque discussion pour débusquer le moindre faux-pas. Et force est de constater que notre Dom Juan du quartier a un sacré passif…
Je laisse Vanessa mener l’audition. Elle monte lentement en pression. Elle commence par parler de la vie amoureuse du suspect, de ses relations sérieuses et moins sérieuses. Elle essaye de dater chacune d’entre-elles et de connaître des noms. Avec le bruit de la rumeur, sa vie intime sera divulguée, malgré le secret de l’enquête.
L’interrogé se tient avachi sur sa chaise, stoïque. Trop calme pour être innocent. Ne devrait-il pas hurler, crier son innocence ? On lui signifie qu’on a constaté qu’il insultait trop facilement les femmes sur les réseaux, et de noms d’oiseaux. « Ton père le pélican », « J’ensemence ta mère la galinette » ou encore « Va au diable, sale perdreau ». Le suspect questionne régulièrement les moeurs de sa tourterelle, et à l’audition admet aisément admis qu’il manquent d’élégance et que, pour lui, tout cela relève du jeu. Un jeu dont le titre serait « je gère de la canne ». Son comportement odieux avec les femmes nous laissent songeurs. Ils n’en dit pas assez et je sens la moutarde me monter au nez.
Je me lève et commence à hurler : « Ça suffit maintenant, il faut commencer à nous dire la vérité. Ça fait sept heures que vous nous racontez des bobards. Il va falloir assumer votre comportement détestable avec les femmes, parce que de dire que vous propre sur vous et un vrai gentleman, ça ne prend pas ». S’il n’avait pas eu d’avocat, je ne l’aurais certainement pas tutoyé. S’il n’avait pas eu d’avocat, j’aurais certainement été moins respectueux. Mais son avocat a joué le jeu de l’audition, et n’a pas dit un mot, comme la loi en dispose. Il s’est toutefois fendu de gestes d’approbation quand son jeune client a clamé en sanglotant : « C’est vrai, je ne suis pas correct avec les femmes. Je n’ai pas les codes et ça m’emmerde. Mais je ne suis pas un putain de violeur, ok ? ». Le propos est consigné tel quel au PV. Au moins, on avance…
Vanessa, qui prend l’affaire très à coeur, insiste ensuite les pratiques du jeune homme, en tentant de savoir s’il présente une problématique sexuelle. Par exemple, pratique-t-il la sodomie ? Force-t-il la gourmandise labiale ? Tous les doutes sont permis, et lui-même doit douter son innocence. Il est trop louche pour être propre. On a tenté de l’avoir au bluff en disant qu’on a trouvé des choses pas nettes. Mais il s’obstine à se prendre pour un ange. Peu importe, il va comparaitre devant le juge d’instruction. Ses 18 mois de détention provisoire lui donneront à réfléchir, et moi je retrouverai ma bien-aimée…
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