Le joufflu magnifique ; ou l’incroyable histoire d’une jalousie soudaine
La génération est maudite et nous en sommes tous les produits dégénérés. La visioconférence est partout, alors que quinze ans plus tôt, c’était tout juste le moyen de subsistance de prostituées slaves qui pratiquaient sexe film pour donner plaisir à homme chaud.
Ainsi des audiences correctionnelles aux teintes boisées, là où Donatia barely legal et Irina Popescu ont été turbo-remplacées par Günter et Günar comparaissant devant Justice magistrale.
Du centre pénitentiaire de Longuenesse ou de Villepinte, nos Barrabbas des clairières souffrent d'avoir à expliquer leur conduite sous emprise de la drogue ou d’avoir causé une infirmité à autrui, voire pire : la mort. Ils s’en expliquent, tant bien que mal, de mal en pis, bon an mal an, par écrans interposés. Carpe diem.
Parfois la « visio » connait des bogues. Ainsi, d'un geste leste, le greffier appelle le service pénitentiaire. Souvent, personne ne répond, car l’audience tombe au moment de la douche du détenu.
D’autres fois, le signal passe aussi bellement qu’une pirogue vénitienne glissant de ponts en ponts, de Fondamente Nove à Cimitero. Malgré tout, le signal bien formé se heurte souvent au mur bleu de la fatalité, à l'erreur 404. Un câble revêche, une résistance résistante, ou une diode indomptable, contrecarre les belles ambitions de la Chancellerie et laisse en reste quatre magistrats professionnels et le greffier.
Ainsi cet écran bleu plonge ce beau monde dans un état de profond désespoir, comme échoués dans le Phlégéthon aux bords sinueux, s'agitant tant bien que mal dans les ruisseaux des enfers, avant finir là, immobiles, arrivant au croisement entre le Styx et l'Achéron, gisant et acceptant leur destinée.
Le greffier décroche de nouveau son combiné, avec la résolution du Spartiate qui galvanise les Arcadiens lors de la bataille des Thermopyles. Alors arrive le héros. L'Ulysse de la connectique, le Kratos des circuits imprimés, le Jonas des parcs informatiques. Entre dans le calme des prétoires un acteur inattendu de l'oeuvre judiciaire : un informaticien de 150 kilos avec un maillot de corps "bleu geek" sur lequel est écrit "May ChatGTP be with you". Sa queue de cheval manifeste son allégeance à la communauté des joueurs de League of Legend. Sa barbe de trois ans pare un menton protéiforme. Tout chez lui indique qu'il est fraichement diplômé d'un Master en maintenance informatique, et que tous ses travaux dirigés ont été réalisés au fond d'une cave, face à trois écrans Full Retina. Le teint du bougre indique qu’il ne sort de chez lui que pour pratiquer son art dans les sous-sols du tribunal, moyennant un traitement qui lui sert à se réapprovisionner en Cheetos (si possible au fromage) et à acquérir le nouveau processeur Intel chez Gros Bill informatique situé rue Montgallet. C'est Jonas et la baleine tout à la fois (ce trait est totalement gratuit, comme tout le reste).
Voici le personnage. Voici qu’il entre avec conviction et dépit par la petite porte dérobée de la salle d'audience, au mur de droite, tout proche du box des accusés (du moins, au temps où ils comparaissent in situ).
Sachant qu’il vient à la rencontre de gens de justice, il a pris soin de remonter jusqu’à la taille son jean brut, estampillé Wrangler, à une hauteur descente, et aux limites raisonnables que trace la majesté de son abdomen. Et porté, non pas par les ailes légères d’Hermès, mais par une paire de Stan Smith en souffrance, il gravit lourdement les marches de l'estrade pour rejoindre le poste du greffier. Mais à défaut d'avoir été bercé par des fées, ses lacets sont des faits, et il manque de trébucher dans cet effort de justice. Néanmoins, en quelques clics, le joufflu céleste semble avoir résolu le problème, vu le visage contenté, mais banal au restant, du greffier d’audience.
Qui sait ce qu'il a fait. A-t-il ouvert le programme Console ? A-t-il rédigé une ligne de code ? Ou bien téléchargé un pilote logiciel avec toute la dextérité du puma, et l'industrie du viverrin ? Dieu seul sait. Puis le glorieux s'éclipse. Avec toute la grâce du Béluga qui quitte l'agitation du littoral pour retourner chasser en haute mer.
Je me moque. Mais cette silhouette archétypale laissera dans ma mémoire une marque impérissable et une inspiration relative, puisque j'ai ressenti une envie très vive d'être cette personne. Ce brave type, cet excellent professionnel semble vivre selon ses termes pour s'être affranchi de tous les jugements péremptoires des regards ordinaires. Cet homme vit certainement de plaisirs simples, de bonnes pizzas, de sodas et de jeux-vidéos. Sans être narquois, je pense que son cerveau produit plus de sérotonine en une journée que le mien ne peut en produire en quatre vies. Et qu'est-ce qu'une vie heureuse, si ce n'est le ressenti du bonheur ? Car au terme d'une existence, ne mesure-t-on pas la joie de toute vie à la quantité de sérotonine produite ? Certains diront que ce Monsieur méconnait le plus grand plaisir qui soit, celui d'une sexualité épanouie. Déjà faut-il rappeler qu'un goût prononcé de la sexualité est un désir de pauvre en esprit, et l'expression d'un vide intérieur. Étrange envie que celle d'être toujours désiré et touché. Étrange envie que celle de donner son corps, sans vouloir donner la vie. Et notre informaticien est aussi infertile soit-il, est à l’image de notre époque. Époque qui oppose artificiellement hommes et femmes, compliquant sensiblement et assurément leur entente, y compris concernant des personnes qui répondent aux canons de la beauté.
Ainsi ai-je voulu, en voyant notre ami, être obèse. Sans aucune autre forme ambition. J'ai voulu mettre mon corps et mon esprit au repos, et me dérober à la pression perpétuelle d'être bon, ou d’être le meilleur. J'ai voulu vivre de joies simples, et me laisser aller à une misanthropie pacifique et sans peine. En somme, j'ai voulu n'en avoir plus rien à foutre.
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