« Au nom de la mère » , un premier livre subversif et viscéral

C'est un livre qui commence par l’importance d’avoir un papa et une maman.

C'est l’histoire d’une étudiante en droit, née d’un homme (à femmes), et d'une femme très belle (mais très pauvre). Et cette étudiante, cette fille sans père, va produire un tout premier livre qui balance sur le trafic d'influence et sur les vilénies d'un magistrat, marié et versaillais. C'est la mise au pilori, la crucifixion sans ascension de ce Dom Juan, à une époque où ce statut fascinait encore.

Entre pranks et french spirit

Dans cet ouvrage qui envoie du foin, l’homme est une raclure de bidet et un lâche incapable de garder son zizou dans son épouse.

C'est le portrait d'une crevure en cravate Hermès, qui menaça de mort celle qu’il engrossa, et qui s’abaissa même à faire couper l’électricité de son logement, en ayant demandé la résiliation du contrat d’énergie… avec son propre numéro. Bardé de tous ses diplômes, le juge se fit crâmer comme un adolescent qui rata son prank
Puis il partit et se planqua, jusqu’à demander sa mutation à Douai, comme ce fonctionnaire trop industrieux dans l’application des circulaires d’un gouvernement collaborationniste. Le french spirit dans toute sa vigueur. Et attendez, ce n’est pas fini…

L'autrice balance. Protégée bien sûr par le sceau de la fiction, et le malheureux privilège d’être l’innocente victime de l’impéritie de son père. 
Alors, elle balance sur le trafic d’influence, auquel les magistrats ne sont pas imperméables, et on le sait au moins depuis « l’affaire Gilbert Azibert ». Car ici, le juge, pas papa, est adepte des phrases du type « tu n’es rien et mes copains ne me feront jamais de tort ». Chose qui se vérifia dès lors puisqu'à l'audience, les juges regardèrent leurs pompes quand la mère, dénommée Lara X., leur demanda de constater l’existence de la filiation du père à l’égard de sa fille, en particulier au regard du refus de celui-ci de se soumettre à un examen biologique. 
Il fallut alors un renvoi après cassation pour que la magie du droit opère, et que le bon juge, désormais père, mais pas beau-père, fut condamné à payer une pension alimentaire. 
Article 203 du code civil : qui fait un enfant doit le nourrir, enculé !

Le compas et l'équerre (dans ton fion)

Cette connivence dans le corps de la magistrature s’explique-t-elle par de simples liens d’amitié ? Non, french spirit toujours, l’explication tient dans un compas et dans une équerre, symboles que la jeune fille trouva sur un bâton qui appartenait à son père. 
Mais à quoi bon ce bâton se voulait-il servir ? Assurément, à le carrer dans l’oignon d’un petit camarade pour qu’il accède au 33ème degré de connaissance. 
D’ailleurs, se dire « maçon » n’est pas très viril, ni très intéressant quand tu ne t'appelles pas « Dos Santos » ou de « Turkan ». Et si t’as eu une mère, elle dût toujours t'interdire de porter un tablier, parce qu’elle voulut élever un homme, à telle enseigne qu'elle est censée te traiter de « pédé » quand tu fais des trucs de « pédé ». Et ça vaut tout l'or du monde.

Grâce, armistice et amendement douloureux

Un père et sa fille ne peuvent pas rester fâchés. Et cette fille nous transporte doucement dans ses idées, avec lucidité et sensibilité, jusqu'à nous amener sur la vaste étendue de sa féminité. 
Elle assume parfaitement de vouloir plaire à ce père, avec qui désormais elle déjeune, va au musée et partage des bouteilles de champagne. Non qu'elle soutienne qu'une femme est parfaitement heureuse à la cuisine et aux soins du foyer, mais qu'une femme regarde son père comme son premier amour, son père comme son premier regard, son père comme son premier idéal. Vous avez déjà voulu aimer une daddy's girl ? Moi, oui. Et c'est très compliqué. La compétition est rude.

Mais l'héroïne n'en deviendra pas misandre pour un sou. En venant à l'âge adulte, elle s'est accrochée à son rêve d'être aimé d'un homme. Mais avec son "vrai premier", ça n'a pas bien marché. Alors, plutôt que de répandre ses névroses sur Twitter et de colorer ses cheveux en des couleurs improbables, elle va recommencer, donner une chance à la vie et prendre ce que souvent elle nous donne : non pas des gloires - mais des gifles, autrement dit des leçons. Comme l'image de ce père qui mettra au monde un nouvel enfant, avec une nouvelle conquête, et que, cette fois, il en prendra grand soin. 
Amendement sincère ou acte de vengeance contre ses femmes, contre lesquelles il ne pouvait rien ? À mon avis, personne ne change. Jamais un scorpion ne renoncerait à son dard.

Et la mère dans tout cela ?

Si le but était de rendre hommage à sa mère, ou de lui rendre justice, c'est manqué.

L'autrice n'a rendu justice que pour elle-même. Elle a saisi le grand pouvoir de la littérature pour faire quelque chose de beau, de logique et de vibrant pour enfin dire son monde. Ni la Cour de cassation, ni l'avocat de sa mère n'avaient le pouvoir de le faire, car le gonze est au sommet de la chaîne alimentaire républicaine, immonde et laïcarde ; et sa famille est mal née. Si mal que la narratrice affuble de la lettre X l'identité de sa mère ; tandis qu'elle nomme, d'un faux patronyme bien sûr, celui qui est le père. Mais ne soyons pas injustes. Cette fille s'est battue pour que les noms du père et de la mère soient accolés sur ses actes de l'état civil. Ou bien ne voulait-elle pas heurter sa mère avec qui un lien si fort d'alliance s'est créé... 

Reste que sa plus grande victoire, à cette demoiselle, est de ne pas avoir viré sociopathe comme son père, lequel - certainement - a lu ce livre avec, aux mirettes, des larmes de haine, et de la haine de celui qui a conscience d'être humain, trop humain, et pas si puissant.

















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