Éloge de la Mama Africaine

Elle est dans le bus, d'un bandana rouge coiffée, hiver comme été. Son marmot, sorti du bois deux ans plus tôt, siège dans le creux de son dos. Il a un foulard pour seul maintien. 

Viennent de naître deux petits frère et soeur : bonheur (ou malheur) ! ils sont arrivés en même temps. 

En attendant, la Mama veille sur ses trois mouflets, et sur son kilo de fruits et de légumes, savamment niché dans la cale de la poussette. Cette même poussette que pas un gogo, détenteur d'un passe navigo, ne daigne soulever pour cette Madame, aux simples fins qu'elle gravisse les quatre grosses marches qui la séparent du trottoir et de l'habitacle du bus. Certes, ces engins sont tels qu'on ne sait si l'on entre dans un Jumbo jet ou dans une foutue fusée Space X, mais mon coco... fais un effort ! 

Enculé, avec ton casque Marshall à 25 euros, tu es assourdi par un son qui sature dès 25 décibels. Tu es une sous-merde encapuchonnée avec toujours un peu tabac qui traine au fond de la poche. Ton corps de chat est surmonté d'un mini-crâne, qui peine à discerner les réalités sensibles qui se posent à ton regard embrumé par la dernière Pléiade de Mia Khalifa. Tu ne la vois pas, cette Mama, que la société anonymise pour s'appeler Traoré, Fofana, Diakité et autres ? Tu ne la vois pas cette dame qui sue de la raie pour nourrir ses mouflets, forte de ses 600 euros payés en espèces pour des "ménages", chez des petites merdes de la bourgeoisie, et souvent tenantes du socialisme ? 

Et le père dans tout ça ? 

Il a rompu avec sa patrie de naissance, alors pourquoi devrait-il renouer avec les valeurs du travail et de la famille en France ? Mais n'est-ce pas Franz Fanon qui a émis l'idée que tout exil est une mort symbolique ? 

En attendant, c'est une femme d'un âge honorable qui, dans le transilien, toise son écran, l'oeil humide et la larme pendante, devant un prédicateur qui a titré sa vidéo "How to raise children when you are a single mother". 

Soit.

Déjà, spoiler n° 1 : aucun homme ne peut l'expliquer. Spoiler n° 2 : si cet homme a le temps de faire des vidéos sur Tik Tok, c'est qu'il est aussi célibataire qu'Onan le judéen. Et c'est du prêcheur Noir et d'églises bizarres dont la Mama est la proie, de tous ces "évangelistes", ces "pantecotistes", ces "néo-charismatiques", qui seraient chrétiens sans être catholiques, n'isolant que quelques pages du Nouveau testament sur le Christ, pour l'idolâtrer et faire fi du reste...  On lui promet d'intégrer une communauté. On lui promet un soutien moral, mais on l'enjoint à payer une dime, et à participer à un ministère, qui a plus la forme d'un Ponzi que d'un chapelet. Mais la Mama tient, elle tient... Son feu sacré n'est pas à vendre. Et aucune institution de merde ne peut la briser : pas une préfecture qui fait vanne d'instruire sa demande de régularisation ; pas une armée de sous-vivants de l'Administration française et du conseil départemental qui songe à placer ses enfants pour quelques dotations ; pas un géniteur absent ou couard et parfois menaçant ; pas un avocat qui néglige de prendre ses appels, parce qu'il trouve son affaire terriblement commune, et qu'il rêve du dossier sublime (autre spoiler : il n'arrivera pas). 

Néanmoins, sa récompense, sa joie, sa béatitude ne viendra pas d'un décret de naturalisation, ou du succès d'une action aux fins de subsides, mais de sa poussette. 

Dans celle-ci, pas de gambo, pas de manioc, ni d'épices non vernaculaires, mais de la culture bien assimilée, et des gamins lettrés. Ceux-là feront des études, sous le regard flatté d'une mère ; cette mère dont ils savent qu'elle n'avait rien, qu'elle n'a hérité de rien, mais qu'eux ont tout, ont hérité de tout, et en particulier : de courage.