Que feriez-vous si vous étiez un (bon) tyran ? ou les métamorphoses de l'asservi
Excellente question, merci de la poser.
Pour la primordiale (ex)croissance économique, je commencerai par abêtir ce menu peuple qui n'a pas les moyens de s'offrir une (véritable) éducation en école privée
L'école publique doit forger des CITOYENS, de la même façon que le potier manie l'argile de ses doigts délicats.
Sous la tour de potier, chaque coup de pédale façonnera le citoyen. Par citoyen, on entend consommateur, voire usager du service public. Rien de sensuel dans ce procédé. On est loin de la passion de Demi Moore dans le film Ghost. Dans ce procédé, c'est plutôt l'intelligence et l'amour de l'art qui se font ghoster, puisque l'enfant ne connaitra que des oeuvres contemporaines bien fades, telle l'Attrape-coeur ; et sa culture historique se limitera à la sacro-sainte doublette Révolution française-Seconde Guerre mondiale (étant entendu que les peuples sont trop endormis pour qu'il en survienne une troisième) ; soit une focale sur trois siècles d'Histoire d'une Nation qui en compte environ quinze. Il suffit de se rendre à Paris et à Versailles pour s'en rendre compte. Qu'importe, le moderne ainsi fabriqué ne regarde jamais vers l'arrière, car trop préoccupé par sa survie dans l'instant présent. (Non) carpe diem.
Orienter le citoyen dans les limbes de l'ennui et de l'auto-suffisance
Ainsi fait, l'école a formé son citoyen. Sans trop le savoir, le citoyen-consommateur est tout ce que les fables de la Fontaine dénoncent : il est la cigale qui chante, le corbeau orgueilleux et l'âne dépecé pour avoir avoué qu'il a brouté l'herbe de son voisin. Centré sur lui-même, il ne songera ni à l'avenir, ni aux conséquences de ses actes ; en particulier, tel Myrrha se livrant à une passion incestueuse, cède à la tentation d'acquérir, et pour la troisième fois ce trimestre, une paire d'Air Jordan ou un sac Lancel au prix d'un Paris-Beyrouth sans escale. Puis en cas de coup dur, le servile ira chouiner chez une assistante sociale qui l'informera à bon escient de trois ou quatre aides publiques. Le consommateur se mute alors en bénéficiaire d'aides sociales, comme Midas fut muté en presqu'âne par le dieu de Délos.
L'État lui donnera le nécessaire pour subsister. Il se contentera alors de cette manne (voire de cette mane) jusqu'à la fin de ses ans. Enfin par la grâce de la déesse Hécube, le consommateur deviendra le trigonique thuriféraire de la gratuité. Ainsi tout service intellectuel, même le plus pointu, doit être gracieusement offert, y compris quand il s'agirait de contester en justice son surendettement. Car c'est son droit. L'avocat en larmes.
Promouvoir des métiers inutiles pour le bonheur de tous (et parfois autoriser l'oisiveté)
Désormais, seuls les bouseux des territoires non-urbanisés pratiquent l'artisanat et le travail manuel. Et comme l'on ne sait plus rien inventer, j'inviterais des capitaux étrangers à créer dans nos centres d'affaires des emplois très peu nécessaires, du « conseil à la décision » au « gestionnaire de comptes » en passant par le « contrôleur de gestion ».
L’État tout-puissant suivra la mouvance en ouvrant des postes du même acabit. Car qui saura à quoi sert un "attaché de territoire", ou un "agent de soutien à l'action sociale" ? Si fait, le Narcisse sera métamorphosé en Sisyphe. Et réalisant l'inanité de son ouvrage, l'asservi préfèrera plonger dans le Styx. Autrement dit, il se "mettra en arrêt maladie". C'est si simple. Les médecins du travail seront à ma botte, et prescriront quelques congés bien peu mérités pour se remettre d'un mal imaginaire, si ce n'est d'être un peu velléitaire.
L'assurance-maladie permettra au salarié tertiarisé de continuer à consommer et à vivre un peu plus que chichement. Mais comment financer ce système providentiel qui tire à blanc ? Très simple aussi : Taxer. Taxer. Taxer. Taxer sans vergogne. Taxer ceux qui prennent des risques. Taxer ceux vivent purement de leur intellect. Gardez vos complaintes ! 60%, ce n'est pas si confiscatoire. Telle est l'opinion de ceux qui envient les « autres », et qui formeront la majorité envieuse. Et c'est bien pour cette raison que cette fiscalité restera longtemps acceptable.
Enfermer les esprits dans de petits réseaux et autour de groupements d'intérêts (diviser et régner... ça vous parle ?)
Je ne vais pas pérorer des lignes à ce propos. J'en ai déjà produit un texte dantesque.
Avec mes camarades propriétaires d'organes de presse, je vous abreuverai d'informations absolument inutiles. Vous deviendrez des poules vers lesquelles on jette sans compassion du maïs.
Vous subirez le tapage de commentaires incessants sur les évènements les plus sordides (viols, meurtres d'enfant, conduites meurtrières sous stupéfiants...). Pépillant et pinaillant vous vous direz sans cesse : "mais dans quel monde on vit !" ; ou mieux encore "c'est la fin du monde !". L'on vous promouvra ensuite un peu de brioche sur affiche publicitaire pour vous suggérer un peu de réconfort. Mais ne vous inquiétez pas. Quelques pages plus loin, l'on vous proposera aussi du "thé minceur".
Même les plus diplômés ne pourront y résister. Internet est une aubaine, et je compte bien utiliser votre besoin irrépressible de vous regrouper et de vous indigner à la grande fin d’étouffer vos protestations. En bons avatars de basse-cours caverneuses, la contradiction ne s'exprimera plus dans la rue. Et les rares manifestations seront matées par des charges policières pour ainsi qu'elles dégénèrent. Si ce n'était pas suffisant, je recruterais "des casseurs" sous le statut de vacataire, qui seront régulièrement titulaires de chèque-vacances et de droits à des congés annuels.
Continuez donc à scroller !
Contrôler l'opposition pour le débat démocratique
La Suisse a une bonne démocratie. Mais dans une excellente démocratie, le gouvernant maîtrise la thèse et l’anti-thèse. On me contredira, mais seulement selon un narratif que j’aurai savamment instruit. J’affaiblis la protection sociale ? Je prends en même temps partie dans une guerre, et suscite la hargne des pacifistes. J’élargis les pouvoirs de coercition de la police locale ? Je lance un « grand débat » sur la biodiversité ou, plus cocasse encore, sur la transidentité.
Il pourra y avoir plusieurs partis d’opposition, mais ils me mangeront dans la main, dépendantes de subventions, manifestations soumises à déclaration et interventions médiatiques qui auront tout l'air d'une inquisition. Mes détracteurs auront cinq et quinze minutes de temps parole, sans pouvoir parler plus deux minutes sans une interruption tactique d'un de mes sous-traitants, titulaire d'une carte de presse. Et mes journalistes les plus loyaux circuleront dans Paris avec chauffeur et à vie.
Devenir milliardaire pour la bonne cause (la mienne)
Tyranniser, c’est beaucoup de travail. On en prend aussi plein son grade, malgré une « opposition contrôlée », parfois bien zélée… Aussi, pourquoi ne mériterais-je pas la pension complète des seigneurs ? Aujourd'hui, comme depuis plus de cent ans, le néo-colonialisme sera mon buffet à volonté. Votre élection m'a fait Énée devenant le dieu Indigetes, sans n'avoir jamais reçu aucun honneur militaire, ni citoyen. Mes seuls mérites seront d'avoir vendu mon économie en pièces détachées à des investisseurs privés, et d'avoir soudoyés des chefs de guerre du sud aux fins d'exploiter leur sols opulents.
Donc s'il existait un Olympe, je serais le dieu de la rétrocommission ; ou une variante de Bacchus, mais consacrée à la récolte de la vigne dans les arcadies fiscales.
En somme, je serai tout assez asservi par mes propres intérêts, en étant le conscrit de ceux qui ont financé ma campagne. Mais qu'importe, avec le pouvoir des médias entre mes mains, je resterai dans vos mémoires comme le César porté en astre par l'apothéose de Vénus, père de la civilisation du confort et de l'égoïsme.
Toute ressemblance avec un système existant ne serait que fortuite.
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