Derek, une ode à l'innocence
Parmi les séries épatantes, Ricky Gervais nous gratifie encore d'un bijou d'écriture. Cette fois, une équipe de tournage suit le quotidien d'une maison de retraite avec Derek, un bénévole légèrement Asperger. Dans ce bouillon de culture, on apprécie les réflexions sur les liens, le regret et le deuil.
Pour l'art, quelques lignes brillantes.
La scène du mari de Lizzie : "J'ai gagné".
Narrateur : "Son Alzheimer a empiré mais il n'a jamais manqué une visite. Pas un seul jour".
Mari de Lizzie "Elle travaillait dans une boutique de chaussures. Elle n'existe plus depuis. J'y suis allé pour acheter une paire de Brogues et elle venue à moi : "Besoin d'aide ?". OH... (rires). J'étais frappé. Droit au coeur. La plus jolie choses que j'aie jamais vue... J'ai dit "euh... chaussures". Je ne pouvais plus parler. Eh bien, la semaine d'après je suis allé prendre ma troisième paire... (rires). Je lui ai demandé sa main ensuite. Et... on s'est marié un an plus tard. (Retour dans le présent - Lizzie souffre d'Alzheimer). Elle ne me reconnait pas toujours. Mais j'insiste pour la voir chaque jour. Elle est toujours la même personne. Et tous les jours, je me présente et nous apprenons à nous connaitre de nouveau. Je suis chanceux. Qui d'autre tombe amoureux 365 fois par an ? Vous voyez... Je vais vous dire un truc. Les gens voient un couple de vieux chnoques un peu gâteux, coincés dans une boucle temporelle... attendant de mourir. Mais je vois la magnifique jeune femme de Dublin qui veut passer le reste de sa vie avec moi. J'ai gagné. Ne soyez pas tristes pour moi. Ou pour Lizzie. On a eu la meilleure vie qu'on aurait pu avoir parce qu'on l'a passée ensemble".
Ce témoignage recouvre la pure satisfaction d'avoir vécu. Le sentiment de complétude du mari de Lizzie surpasse la dévastation de sa perte. Son destin était lié à une autre, et il y a fort à parier que le mari de Lizzie partira paisiblement, avec peut-être le seul regret de ne pas vivre assez longtemps pour davantage se souvenir d’elle.
La scène de Kev : "le meilleur raccourci".
Journaliste : "As-tu des regrets ?"
Kev : "Ouais. J'ai toujours choisi la facilité. Toujours. Bon. C'est ce que j'ai cru être la facilité. Ouais. Toujours à chercher le bon plan et toujours à chercher le raccourci. J'aurais dû essayer, oui, travailler dur. Mais j'ai joué. Et j'ai pas mal bu. J'ai supplié. J'ai espéré. Et j'ai fuis. Je suis un raté, je pense. Mais je ne suis pas un raté parce que je n'ai pas réussi. Je suis un raté parce que je n'ai jamais essayé. Je suis juste content d'avoir rencontré Derek, vous savez. Parce que - pas parce qu'il est meilleur que moi - tout le monde est meilleur que moi. Parce qu'il me fait sentir meilleur. Parce qu'il est meilleur que tout le monde. Derek a pris le meilleur raccourci possible. Le seul raccourci qui est bon. Le seul raccourci qui marche... et c'est la gentillesse (larmes).
Une sacrée leçon à connaitre avant ses 20 ans. L'essentiel est là. Pour éviter les regrets, il faut agir, oser, se confronter au réel et le surmonter autant que faire se peut. C'est dans un grand moment de lucidité que Kev, le plus grossier des personnages de la série (donc le plus drôle), fait l'éloge de Derek, un grand gentil qui lui serait diamétralement opposé. Mais ni Kev, ni Derek n'ont été très gâtés par la vie. Ainsi explique-t-il, en de telles circonstances, les meilleures armes sont bienveillance et bonté.
Ceux qui ont le moins donnent le plus. C’est bien connu.
Le scène de Derek et du banquier : "pouquoi faire ?"
Enfin de journée, dans l'hospice, un banquier en costume, la cinquantaine, est assis face à Derek et Kev en prenant l'apéro.
Banquier : "Bref, je travaille incontestablement dans le meilleur groupe bancaire au monde (toute la maison le regarde avec dédain. Un petit silence s'en suit).
Derek : "C'est ton boulot alors".
Banquier : "Un peu, ouais".
Derek : "T'y fais quoi ?"
Banquier : "Woah, 'très difficile d'explianion' (du français approximatif dans le dialogue original). Euh. Je gère l'argent de gens très riches.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Pour qu'ils puissent dire qu'ils ont encore plus d'argent.
Derek : Qu... T'as dit qu'ils étaient déjà riches ?
Banquier : Ouais, mais ils seront plus riches.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Pour qu'ils aient plus d'argent.
Derek : Pour... Pourquoi t'aides pas les pauvres à avoir plus d'argent ?
Banquier : Ils n'ont pas assez d'argent pour investir quoique ce soit dans un premier temps.
Derek : Exactement.
Banquier : Tu veux pas plus d'argent ?
Derek : J'ai tout l'argent que je veux.
Banquier : Exactement. Alors si t'avais un meilleur boulot ou-
Derek : Y'a quoi comme meilleur boulot que ça ? (Tout le monde se retourne vers eux et les collègues de Derek sourient).
Banquier : Okay, bon, disons un boulot qui te rapporte gros. Puis tu achètes plein de trucs. Tu peux acheter une meilleure maison, une meilleure voiture, et le plus important : tu pourrais avoir un meilleur boulot.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Pour faire plus d'argent.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Pour faire assez d'argent pour partir à la retraite plus tôt.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Pour faire exactement ce que tu veux, toute la journée, chaque jour.
Derek : C'est ce que je fais déjà.
Kev : C'est ce qu'il fait déjà, poto.
Pause de la discussion. Les deux zigotos se servent des oignons marinés en trempant leurs doigts dans un bocal sous l'oeil hagard du banquier. La scène enchaine directement avec le grand-père du banquier qui raconte qu'il se sent privilégié d'avoir eu un gamin aussi adorable avec qui aller à la pêche.
Banquier : Comment tu peux vivre sans argent ?
Derek : Comme vous avec de l'argent, mais avec beaucoup moins d'argent.
Banquier : Et si tu veux quelque chose ?
Derek : Je veux parler à tous ces gens (les résidents), et c'est gratuit.
Banquier : Tu veux leur parler ?
Derek : Ouais.
Banquier : Bientôt, tu sauras tout sur eux. Et après ?
Derek : Non. Parce que la prochaine fois que tu leur parles, tu auras appris un truc nouveau. Ou, parce qu'ils ont vécu très longtemps, et qu'ils ne sont jamais à court d'histoires. Et peu importe que j'aie déjà entendu l'histoire deux fois, parce que c'est si intéressant... Ton grand-père est intéressant. Il a un paquet d'histoires. Il est génial.
Banquier : Ouais, mais il peut pas entendre ce que tu lui réponds.
Derek : Juste écoute-le. Sinon, tu pourras m'apprendre à faire une fausse libellule ? Pour tromper un poisson ?
Banquier : En fait, je sais pas faire.
Derek : Si, tu sais. Tu avais l'habitude quand tu étais petit, tu savais faire d'excellentes libellules.
Banquier : Je ne me souviens pas.
Derek : Pourquoi ?
Banquier : Ce n'est pas important.
Derek : Ton papi se souvient.
La banquier se retourne vers grand-père qui est assis au salon, l'air surpris en laissant échapper un petit "quoi ?".
Derek relançant la discussion face à ce banquier complètement désemparé : Pourquoi le poisson ne comprend pas ? Pourquoi il ne comprend pas ? Parce qu'il les voient dans l'eau et qu’il pense 'voilà une libellule' ? Comment tu fais ça ? Avec du coton ? (Le banquier a l'air pensif). Pourquoi ils mangent des libellules. Est-ce qu'ils mangent tous les insectes ? Peux-tu faire des faux vers ? On utilise des vrais vers mais on fait de fausses libellules. Pourquoi ? (Le banquier jette un regard évasif à Derek, perdu dans ses pensées). Est-ce que... Est-ce que c'est à cause que le poisson reconnait les faux vers mais qu'il sait pas à quoi ressemble une fausse libellule ?
Fin du dialogue à table. Le banquier et Derek se retrouveront au salon, chacun assis sur un fauteuil. Puis le banquier demandera à Derek s'il a déjà fait un voeu, souhaité quelque chose. Derek répondra qu'il veut juste avoir ses proches autour de lui et en bonne santé. Il faut profiter de ses proches, car quand ils ne seront plus là, ce sera trop tard. Voilà ce qu'il dit avant de parler subitement des rediffusions de son émission préférée à la télé. Enfin, le banquier se lèvera et partira de la pièce. On verra qu'il est parti aménager au bord d'une piscine une place pour pécher avec son grand-père, comme à l'époque. Derek apparaitra ensuite discrètement dans un coin du jardin avec un sourire.
Que dire de cette scène ? On a un cadre en entreprise qui aime se définir par sa profession. Classique, il se sent fort au contact des modestes. Il est plutôt fier de servir les puissants. Le costume-cravate, ses quelques mots de français, le boulot qu'il met en avant... Tout cela sert à intimider. Mais Derek est en dehors de ces considérations, et il sait à peine ce quoi à sert à un banquier (comme beaucoup d'ailleurs). La bonté de Derek sera désarmante. La logique avide de ce financier et son culte du "vouloir" ne résisteront pas à la chaine des "pourquoi". Et in fine, la gentillesse de Derek sera contagieuse. Puisque le banquier a indubitablement un bon fond, et Derek l'aura conduit à se poser les bonnes questions pour qu’il parvienne de lui-même à la bonne conclusion. Partant, le banquier prendra conscience qu'il s'est égaré, et le petit rappel de Derek sur le caractère éphémère de la vie fera mouche.
La scène du père de Derek : "les pires dix années".
Le père de Derek : "Les gens veulent toujours vivre une LONGUE vie. Vis plutôt une vie amusante ! Ouais, si tu fumes pas et tu bois pas, tu vivras dix années de plus. Mais c'est les pires dix années ».
Rien à ajouter.
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