BAC Nord, film réaliste ou invention maladroite ?

Simple, 

efficace,

mais sans audace

Expédions d’emblée mon avis pseudo-cinéphilique : BAC nord est plutôt bien réalisé. Une mise en scène peu audacieuse, mais efficace. Pas de grandes plongées dans les contrées de la psyché, négligeant ainsi d’explorer suffisamment le thème de l’amitié, de la camaraderie, de la trahison et du sens du devoir. Mais tout ceci sera mis au compte d'un mauvais montage.

« Eh le roux pioche bien dans la caisse lui ! »

C’est un film sur une tranche de vie, celle de trois policiers de la Brigade anti-criminalité des quartiers Nord de Marseille. Ces trois flics sont désabusés et se sentent globalement impuissants. Ils s'ennuient « ferme » (ce qui augurera d’un avenir proche), et ils voudraient se faire des « gros », démanteler d'importants réseaux. Ils sont aussi et sans cesse en proie aux dilemmes moraux : puis-je payer mes indic' sans finir par les trahir ? Puis-je poursuivre un dealer jusqu’au fin-fond de la cité-jungle sans me faire rafaler le buffet ? Puis-je me servir dans la monnaie que je saisis, tout comme le rouquin de la Sud ?

Qu’importe le fla(con)…

À les voir, les bougres ne semblent pas bien armés pour affronter ces dilemmes. Par encore surprenant, ils procèdent librement à des arrestations et à des saisies ; ils circulent en "tenues bourgeoises" ("en civil") et roulent sur les sentiers en véhicules banalisés. En somme, ils ont tout d’officiers de police judiciaire (ou de fonctionnaires de catégorie A), la formation en moins. Ce ne sont que des agents de police judiciaire (APJ) de catégorie C, ou des gardiens de la paix qui devraient a priori revêtir l’uniforme bleu. Aussi ont-il pu accéder à la BAC en justifiant de deux années de « boutique ». Ceci explique le quolibet selon lequel « les gens de la BAC n'ont pas leur Bac ». Certains diront « peu importe le diplôme ! ». À ceci, l’on répondrait doctement que l’on ne peut exercer des pouvoirs quasi-régaliens sans avoir une compréhension fine de l’interdit pénal et de la déontologie. En cela, pour intégrer la BAC, il n’est requis pour l’APJ que d’avoir des « bases » en procédure pénale. 

C’est un peu court jeune homme !

Sans vouloir enfoncer le clou, les personnages joués par François Civil, Gilles Lellouche et Yassine Leklou ne sont pas bien futés. L’on remarque qu’ils ont le verbe limité, tout comme les gens du « milieu » qui les abreuvent de doux sobriquets. Le scénario est alors un bijou de réalisme quand les flics sont traités sur la voie publique « d'enculés, de fils de pute... », et qu’ils répliquent de même. Ils paraissent même bienveillants quand un mineur tout malingre, venant de casser une vitre, est interpellé en état de flagrance et que, par une compassion toute chrétienne, cette police lui diffusera du JUL à l’auto-radio ; aussi pour faire taire un flot ininterrompu d’injures. L´on saisit alors, au moins conceptuellement, tout le pesant fardeau du fonctionnaire qui subit l’invective au quotidien, sans pouvoir malheureusement déclencher l’éminente gifle patriarcale, éducative et forcément salvatrice (j'ai d'ailleurs développé l'importance de la gifle ici).

« Débrouillez-vous, je ne veux rien savoir »

Et, quand le commissaire proposera « un gros coup » à nos héros, ces derniers accourront. « Saisissez une plantation implantée dans la cité profonde ». Ordre du préfet. Qu’attendons-nous ? Il suffit seulement de (re)cueillir 5 kilos de cannabis pour gratifier l’indicatrice. S'ensuit donc la fameuse « collecte », consistant à interpeller des zozos au sperme pauvre, et en flagrant délit d’acquisition de substances prohibés, et les conserver. Certes, cette alternative ressemble à du racket. Le délit d’extorsion est d’ailleurs caractérisé, malgré ce que le bien est illicite, car le texte protège la victime dessaisie de « tout bien quelconque ». Ce qui est contestable. Car le propre d’un bien au sens juridique est d’être « dans le commerce » (licite entendons-nous).

Ainsi animés d’une envie d’agir, le commissaire Duchmole leur donnera un blanc seing, oubliant de sonner le tocsin. Car encore fallait-il rappeler à ces flics désespérés les bornes de la loi… Au pire seront-ils des racketteurs, au mieux des auteurs de voie de fait. La voie de fait consistant en l’acte d’entraver la liberté d’autrui, même sans contact ni violence, avec ici la circonstance aggravante d’être un dépositaire de l’autorité publique. Par exemple : une interpellation injustifiée et matérialisée par un « stop » est une voie de fait, ou une violence volontaire (certes légère).

« Dégagez de mon territoire ! »

Et pour rassembler les kilogrammes, nos héros devront empiéter sur le territoire de quelques petits barons de la drogue. Ces dealers en chef se permettront d’ailleurs d’alpaguer violemment les policiers, allant même jusqu’à les braquer au pistolet. L’aisance de ces malfrats à défier la police montre qu’ils ont graissé quelques pattes, et qu’un ou deux conseillers municipaux reçoit mensuellement l’équivalent de son poids en dinars-or, fraîchement sortis de la laverie. Et cette scène, par laquelle nos trois compères feront montre d’une admirable force de caractère, nous donne l’impression que les hauts fonctionnaires de la police seraient complices du deal organisé. Le jeu d’acteurs aidant, l’un des deux filous semblait même dire « Vous dépouillez mes clients, j’en parlerai à votre direction ! ».

Cette intuition se confirme quand, par extraordinaire, la « police des polices » (l’IGPN) procèdera à des perquisitions aux domiciles des protagonistes, et à leurs interrogatoires.

Réponses suggérées et présomption de culpabilité

« Dis-le que c’est toi ! Tu viens d’avoir un enfant, tu gagnes pas beaucoup… Avoue, tu as été tenté ». Voilà l’IGPN qui use de méthodes d’interrogatoire assez classiques pour soutirer des aveux (quoiqu’en la présence d’un avocat, les discussions sont toujours plus courtoises - croyez-le sur parole !). Mettre la pression, semer la confusion et cueillir des aveux à l’usure. C’est la recette. Rappelez-vous qu’un fonctionnaire n’a que deux ambitions dans la vie : premièrement, finir sa journée à l’heure ; deuxièmement, à cette fin, vous faire signer un papier (quel qu’il soit). Voir ici pour une analyse plus ample du morphotype du bureaucrate.

Refusez de signer, et vous vous attirerez les courroux de tout un État. Mais, et c’est important, refuser de signer un procès-verbal de police peut être utile, car il n’aura qu’une valeur indicative pour un magistrat et perdra sa valeur sacramentelle. En effet, en France, nous avons tellement le principe d’égalité en estime que l’on pense qu’un individu usé, esseulé et profane est en parfaite capacité de traiter de gré à gré avec un professionnel libéral, une institution financière ou un membre des forces de l’ordre… Mais nos trois policiers se sont bien comportés, ils n’ont pas craqué, ils ont exprimé une indignation non feinte. Cependant, ils n’échapperont guère à la détention provisoire, devant le doute et le renoncement du commissaire à soutenir ses ouailles.

Sacrifier le pion

En matière pénale, BAC Nord nous enseigne que c’est toujours le faible qui finit broyé.

Cette BAC Nord se pensait couverte par sa hiérarchie. Erreur. Disons plutôt qu’elle tapinait pour sa hiérarchie. Elle donna à un préfet ambitieux l’occasion de sabrer le Dom Pérignon avant de humer une ligne de coke dessinée sur le culo d’une prostituée colombienne. Or, toute la méfiance au monde s’imposait lorsque le commissaire La Fouine a présenté l’opération en tant que le préfet du Rhône voulut faire "coup" médiatique. L’opération avait donc un sale goût de politique. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que l’IGPN a été prévenue, saisie, sollicitée par ces quelques malfrats qui ont passé un pacte avec la République souveraine et égalitaire. C’est alors à se demander : combien de dinars-or cela coûte pour devenir un roitelet sur un territoire auquel la République a renoncé ?

Morts pour la France Manuel Valls

La BAC Nord était de la chair à canon. Les noms de ces hommes ont été définitivement salis, et ne seront qu’un peu restaurés après le non-lieu à poursuites prononcé. Ce non-lieu tenait du miracle et ne pouvait avoir lieu que si un des policiers balançait le nom de l’indicatrice. Ce qui la condamnerait à une mort certaine. Et cette personne, totalement accro, intoxiquée, déclassée, fut sacrifiée car elle était en bout de chaine. Si la BAC Nord était du menu fretin en proie à baleines et requins, cette indicatrice était du plancton. Elle était l’âne que dépeignait la Fontaine dans les Animaux malades de la peste. Et les policiers ont sûrement été exonérés de toute responsabilité pénale en plaidant le commandement de l’autorité légitime ; ou l’excuse de nécessité en temps de guerre.

Tout ceci pour qu’un préfet se fasse mousser. Tout ceci pour que Manuel Valls, simple attaché de presse de profession dont les valeurs éthiques sont mondialement connues, se feigne d’une petite phrase qui lui donnerait un air autoritaire. « Il n’y a pas de place pour ceux qui salissent l’uniforme de la police », dit-il en oubliant les maints blocus de l’UNEF auxquels il a participé au centre Tolbiac en criant « nique la police ».

Ce film a donc le mérite de réhabiliter, ou plutôt de laver les noms de ces hommes. Des hommes certes un peu simplets, mais qui ne méritaient pas le pilori, ni la prison. 

Ce film montre aussi une justice qui sévit selon des conjectures, et qui se fie aux apparences ; et ce, dans une société gangrénée par les ambitions politiques. 

Conclusion sous forme d’hommage audacieux dans une société malade

Or, nos policiers, bien que parfois atteints de la pensée bureaucratique, fait un des derniers métiers qui ont du sens. Protéger la société. Tout le monde veut vivre dans une ville dans laquelle il y a un policier pour dix habitants. Personne ne veut habiter la ZUP de Montfermeil. 

Eu égard à la hauteur de sa mission, le flic est aussi un des rares professionnels animé d’une pureté relationnelle. Il aime souvent les gens et serait prêt à mourir pour eux. Eu égard à la misère qu’il fréquente, il a un humour délicieusement caustique et désabusé. Marque d’un esprit ancré dans le réel, donc forcément bien fait. Il peut certes s’emporter est abattre un conducteur qui refuse d’obtempérer. Mais il est en premier ligne, et il subit un stress qu’aucun vendeur d’assurance, agent immobilier ou consultant en je-ne-sais-quoi ne pourrait supporter. Métiers que d’ailleurs pourraient torcher un chimpanzé suffisamment entrainé et/ou que l’IA généralisée exercera sans difficulté.

En somme, le policier est fait d’un métal trop précieux pour cette société qui affecte le désordre. Détester la police, c’est se détester, et se souhaiter à soi et à ses proches les pires sévices. D’ailleurs, ceux qui souhaitent désarmer la police sont les moins armés pour affronter la vie et l’adversité. Tant physiquement que mentalement. Ils sont des nihilistes. Des gens pitoyables et méprisables. Tandis que tout policier, et généralement tout gens d’armes, a cette âme qui aurait fait de lui un chevalier au temps de Saint Louis ou un chef de guerre de la Grande armée. Ne l’oublions jamais. Pour cette raison, je préfère infiniment passer une soirée avec un groupe de policiers qu’avec certaines personnes de mon actuelle profession, dont la pédanterie et la déloyauté confine au plus parfait des ridicules.





 



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Juan Branco, praticien du chaos

De l'impossibilité de s'approprier la pensée de Nietzsche : le cas Julien Rochedy

Exorciser le CRFPA, examen du démon - Le guide ultime des révisions

Elon Musk, contempteur du progrès, imposteur et énorme fumier

Derrière chaque moraliste, un grand coupable

Quel délit de presse êtes-vous ?

Le protagoniste d’Orange mécanique, cette vermine qui vous fascine

Mad Men, le grand théâtre de la vie

L'école des avocats : le premier cercle de l'Enfer de Dante

Peut-on se lasser de l’été ?