Tous exposés à la garde-à-vue (et plus si affinités)
Le terrible Babylone revient, et elle n'est pas très contente. Cette fois, Midas de Phrygie ne change plus le sable en or mais l'infraction en délit. Et il ne s'agit pas de sanctionner le marchand de mort de la rue (comme le trafiquant de drogue), ni même celui de la route (tel que le chauffard ou l'ivrogne) mais... le passant. En effet, La dissimulation du visage sur la voie publique était déjà passible d'amende (loi "anti-burka" du 11 octobre 2010). Maintenant, ce fait est puni d'un an de prison, si commis lors d'une manifestation (loi "anti-casseurs" du 10 avril 2019). Or, un délit pénal est une qualification pénale autrement plus grave que la contravention, mais beaucoup moins que le crime. L'enjeu majeur ? Donner le pouvoir aux policiers d'interpeller et d'enfermer un prévenu, souvent en faisant usage un "légitime" de la force (ici par légitime, on n'entend pas forcément justifié, mais permis pas la loi). Puisqu'il s'agit d'un délit, et non d'une simple contravention, il bien est alors permis de vous encelluler sous le régime de la garde-à-vue. D'où l'intérêt pour le législateur d'aggraver le niveau de la qualification. C'est une véritable fièvre répressive qui se manifeste, en atteste l'adoption du très controversé "article 24" de la proposition de loi dite "sécurité globale". Nous verrons que décidément, le visage est le siège de tous les conflits.
Là aussi, la peine est d'un an de prison et le fait sanctionné est la diffusion de l'image d'un policier ou d'un militaire "dans le but manifeste" de nuire. Cocasse lorsqu'on sait que la prise d'images est redoutablement efficace pour dissuader des exactions policières, lesquelles sont heureusement marginales. En effet, sans témoin, c'est la parole de l'agent contre celle de l'interpellé ; et souvent, la parole de l'agent l'emporte. À ce titre, les procès-verbaux bénéficient d'une présomption de vérité. De plus, en cas de contrôles intempestifs, de retenue injustifiée sur la voie publique, de gestes ou de paroles déplacés d'un policier, lui mettre un téléphone sous le nez puis le filmer produit normalement un effet très dissuasif. Donc un bon moyen pour rétablir a minima le rapport de force. Cependant, si le passant est présumé commettre le délit de capter l'image d'un policier afin de nuire, comment peut-il échapper à une garde-à-vue immédiate ? Ce type de situations est très bien relaté dans le film "Les Misérables" (2019). Et encore, vous n'avez pas encore tout vu... Figurez-vous que ce geste anodin est un délit flagrant, susceptible d'être jugé très vite peu après la garde-à-vue ! Cette procédure est ce hachoir judiciaire qu'est la comparution immédiate. Cette même voie de jugement est envisagée pour sanctionner plus "efficacement" la haine en ligne (par modification de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse). On peut aussi mentionner un nouveau délit d'intimidation d'agent public en raison de convictions religieuses ou idéologiques (projet de loi "confortant les principes républicains").
On pourrait dire que les intentions du législateur sont louables. Il s'agirait seulement de résorber la violence dans la rue et de protéger les agents de police qui portent une terrible besogne, surtout aux temps de la lutte acharnée contre le terrorisme. Mais on vit surtout les temps des princes immatures et peu sensibles à la chose publique. Or, l'intention est plus qu'évidente, celle de décourager l'expression publique contre des réformes qui sont faites en dépit du bon sens et du progrès social. Et s'appuyer sur la subjectivité de l'agent public pose un grave inconvénient, car celui-ci n'est jamais qu'aux ordres du pouvoir exécutif, rappelons-le.
On assiste donc à une inquiétante inflation législative. Créer et définir précisément des crimes terroristes est une chose ; multiplier de vagues délits en est une autre. Malgré sa bonne foi, tout quidam est exposé au risque pénal.
Mots-clés :
Proposition de loi "sécurité globale" ; Article 24 ; Filmer un policier ; Flouter le visage ; Dissimuler le visage ; Droit de la presse ; Droit à l'information ; Manifestations ; Mouvements populaires ; Loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations ; loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010
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